Qu’a fait le gouvernement pendant la crise ?
S’il est clair que le gouvernement polonais a été particulièrement inactif pendant la crise, les dernières semaines du mois de mars ont vu l’administration Duda se réveiller quelque peu…
Même si la Pologne a toujours souffert d’un appareil administratif particulièrement lourd et lent, ses problèmes se sont accentués depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice en 2015. Avec une ligne idéologique particulièrement conservatrice et xénophobe, la Pologne n’avait en toute logique ni les infrastructures, ni la réactivité nécessaire pour prendre en charge l’arrivée de millions de réfugié.e.s (Au 16 avril, le pays a vu environ 2.9 million d’ Ukrainien.ne.s entrer sur son territoire)[1]: “Maintenant, la situation commence a changé parce qu’évidemment, il y a eu un énorme tollé et de nombreuses critiques et autres protestations contre le gouvernement” explique Dominika Losota, activiste du climat. De fait, l’action gouvernementale a été avant tout légale. Le gouvernement polonais a en effet passé une nouvelle loi le samedi 19 mars 2022 permettant aux réfugié.e.s de nationalité ukrainienne de recevoir le numéro de sécurité social polonais PESEL qui octroie à la population polonaise d’accéder à la plupart de leurs droits et, notamment, aux services médicaux. La loi donne également aux réfugié.e.s ukrainien.ne.s le droit de résider sur le territoire polonais pour une durée de 18 mois, d’accéder au marché du travail polonais. Elle permet aussi aux enfants et aux étudiant.e.s de continuer leur éducation dans les écoles et les universités polonaises.
La loi inclut également des subsides financiers pour les réfugié.e.s ukrainien.ne.s et les gens qui les hébergent. Une action qui est généralement vue d’un bon oeil même si, à nouveau, la lenteur de l’appareil administratif polonais est dans le collimateur: “C’est lent et les processus démocratiques ne sont pas faciles. J’ai une amie qui est une réfugiée de Kiev qui ira pour la troisième fois au bureau essayer d’obtenir ce numéro. Ce n’est pas parfait mais au moins, ils essaient de faire fonctionner ce système et j’espère que ça durera aussi longtemps qu’il le faudra.” relativise Dominika. Les autorités de Varsovie estiment que l’attribution des numéros PESEL peut prendre jusqu’à 6 mois. La chose est rendue d’autant plus compliquée que la communication du gouvernement polonais laisse à désirer: “Nous apprenons souvent les informations non pas de manière officielle, mais du bouche-à-oreille entre nous.“ constate Aryna, jeune activiste de 16 ans. Comme beaucoup d’Ukrainien.ne.s, elle a dû fuir Kiev dès les premiers bombardements.. “Je trouve que c’est humiliant de forcer des gens qui ont vécu cette situation et qui sont potentiellement traumatisés à passer par ces processus administratifs aussi mal organisés” juge Mikolaj, jeune étudiant polonais d’origine ukrainienne également très actif dans l’activisme climatique.
Des transports publics gratuits
La compagnie de chemin de fer nationale a également rendu les transports publics gratuits pour les Ukrainien.ne.s. Mesure qui a largement été reprise par les administrations des Voïvodes, les grandes régions du pays, ainsi que les gouvernements locaux. Une action qui, à en croire Mikolaj a eu son utilité dans la prise en charge des réfugié.e.s par les volontaires de la société civile qui, face au manque d’action étatique directe, ont largement pris en charge l’arrivée massive des Ukrainien.ne.s :”Pour le coup, je pense que ça aide vraiment, surtout si nous, les activistes, on organise les transports pour les Ukrainien.ne.s car on n’a pas besoin d’acheter des billets.”
Dans les arrêts de transports publics de la capitale polonaise, les automates délivrent des billets gratuits à qui possède un passeport ukrainien timbré et dans le métro, une porte reste toujours symboliquement ouverte : “On voit quand même d’autres personnes qui passent par les portes ouvertes” s’amuse Viviane, étudiante suisse en erasmus à Varsovie. Elle était déjà présente dans la capitale les premiers temps de l’invasion russe.
Bien que les quelques mesures du gouvernement soient globalement appréciées, le mécontentement général vis-à-vis de l’inaction de l’administration Duda reste palpable, surtout du côté des activistes et des volontaires. De nombreuses administrations locales débordées par l’afflux de réfugiés en ont même appelé le gouvernement à agir plus directement. Dominika résume la situation au moment du 08 avril 2022 : “Après les critiques envers l’Etat, il commence à y avoir des espaces plus larges comme des stades qui sont mobilisés par le gouvernement. Il a aussi payé des hôtels pour qu’ils mettent des chambres à disposition afin d’accueillir les réfugié.e.s. Mais ça n’arrive que maintenant et nous n’avons toujours pas de camps comme à Calais.” À la place, des grands points de transit où les réfugiés se rendent pour atteindre des lieux de Pologne moins saturés et, surtout, pour partir encore plus à l’ouest afin de rejoindre d’autres pays de l’Union européenne comme l’Allemagne ou la France. Le bâtiment du Global EXPO Trade Fair Center dans le quartier de Żerań à Modlinska 6D, dans la périphérie de Varsovie, a été mobilisé à cet effet.
Modlinska 6D
Avec ses 12’144 m2 de superficie, le Global EXPO Trade Fair Center constitue le “plus grand espace sous un même toit de Varsovie” selon le site officiel. À l’origine, complexe post-industriel rénové afin d’accueillir spectacles, conférences et autres congrès, le centre culturel fournit par le Voïvodie héberge maintenant temporairement environ 3’500 réfugié.e.s ukrainien.e.s. En longeant le grand édifice, il est possible d’apercevoir des drapeaux ukrainiens. Près de l’entrée, on voit une voiture de police, une ambulance, des camionnettes de traiteurs, des soldats polonais et canadiens. Selon le sous-lieutenant Alex Roy, ces derniers font partie d’une petite équipe venue pour juger si l’armée canadienne a les ressources et les capacités nécessaire pour aider le ministère de la Défense Nationale polonais.
“Les soldats polonais sont là pour porter les bagages et assurer la sécurité” explique un volontaire polonais la cigarette à la main. Avec deux de ses collègues, il était venu ce jour-là soutenir le grand effort logistique déployé au Global EXPO dans le cadre d’une journée de bénévolat organisée par son entreprise. Car même si le gouvernement fait acte de présence au travers des militaires, ce sont majoritairement des volontaires, polonais comme étrangers, qui peuvent être vus en train de travailler dans des gilets oranges et jaunes. Tout l’espace du Global EXPO est entièrement mobilisé et les organisateur.trice.s ont décidé de diviser le grand espace offert par le centre de conférence en plusieurs zones. Les deux étages du complexe sont mobilisés, principalement pour accueillir les 3’300 lits militaires àdes réfugié.e.s. Quand on entre dans le bâtiment, on se retrouve face à plusieurs réceptions proposant différents services tels que des informations générales, un guichet des transports, de l’assistance légale et médicale ou encore la mise à disposition d’habitations. Du thé et du café sont proposés aux gens non loin d’une cantine où les ukrainien.ne.s sont invités à se servir. Il y a également des points de distribution d’habits. L’établissement propose également des infrastructures hygiéniques : tests et point de vaccination contre la Covid 19, toilettes, vestiaires… Des zones de jeu pour les enfants et des zones sportives viennent compléter le tableau.
Entre volontaires polonais et bénévoles étrangers, on trouve également des ukrainien.n.es qui s’activent pour faire fonctionner le lieu. C’est le cas de Nadia. Cette ancienne contrôleuse du trafic aérien originaire de Lviv essaie “seulement d’aider un maximum” selon ses propres mots. Actuellement sans emploi, elle aide les autres réfugié.e.s à obtenir des visas pour la Grande Bretagne en attendant de pouvoir rentrer en Ukraine rejoindre son mari. Elle confirme que le camp du Global EXPO semble être pensé pour le long-terme même s’il ne reste qu’un point de transit pour aller ailleurs en Europe
Une information que confirme Igor, jeune étudiant de 17 ans qui manque ses leçons pour faire du volontariat à Modlinska 6D. À l’évocation de l’action gouvernementale, Igor sourit: “Je ne pense pas qu’ils fassent assez…” affirme-t-il avant d’évoquer l’aide médicale du centre fonctionnant sur une base volontaire. Un sentiment que la plupart des varsovien.ne.s semble partager malgré les efforts des membres du gouvernement pour s’attribuer les exploits de volontaires
[1] https://en.wikipedia.org/wiki/2022_Ukrainian_refugee_crisis
Loïs Pythoud, Mathias Cadena, Yvan Pierri