« La Pologne, c’est l’Est sauvage. Vous ne savez pas ce qui se passe ici, c’est complètement différent. »

Spectrum a  interviewé Dominika Losota, activiste à Varsovie, qui a dressé un constat alarmant sur la situation de la politique polonaise. 

 

« C’est un pays super non ? De la bonne nourriture des Pierogis, la plage, les montagnes ; c’est génial ! Mais une fois qu’on regarde vraiment ce qui s’y passe, on se rend compte à quel point il est brisé. » C’est l’avis de Dominika Losota, activiste de Fridays For Future (FFF) très impliquée dans la crise ukrainienne à Varsovie, sur l’état de la situation politique en Pologne. Selon elle, le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir depuis 2015 est un parti purement opportuniste : « Ce ne sont en aucun cas de bonnes personnes, juste de bon.ne.s calculateur.trice.s » affirme l’activiste. Cela a notamment pu être observé avec les contradictions du gouvernement dans la politique migratoire. En 2015, alors que la première crise de réfugié.e.s battait son plein, le parti a en effet fondé sa campagne électorale sur des idées anti-immigration instrumentalisant la peur de certain.e.s. En 2019, alors qu’Alexandre Lukachenko envoyait les migrant.e.s à la frontière biélorusse afin de déstabiliser le pouvoir européen, le PiS réutilise la même tactique:. « Ils ont utilisé la télévision nationale, ils ont utilisé chaque ressource qu’ils avaient à disposition pour propager de scandaleux slogans, concepts et idées sur les réfugié.e.s entrant dans le pays. » Or en 2022, tout en construisant un mur pour empêcher cette première vague de migrant.e.s de pénétrer dans le pays, le gouvernement accepte près de 3 millions de réfugié.e.s ukrainien.e.s. Acculé, le PiS est désormais obligé d’adopter une rhétorique pro-migration, car les yeux du monde sont braqués sur lui.

La Orlen Foundation affiche fièrement son soutien aux réfugié.e.s à la gare centrale de Varsovie…
©Yvan Pierri

« On ne sait pas ce qui se fait dans ces stands et eux non plus ne savent pas ce qu’ils font »

 

…Pendant que le groupe Orlen continue de vendre le pétrole russe
©Yvan Pierri

Nous avons observé de nos propres yeux ce fonctionnement paradoxal en nous rendant à la gare centrale de Varsovie. Là-bas, sur l’une des tentes qui sert de lieu d’approvisionnement pour les réfugié.e.s. est exhibé le logo de la Orlen Foundation qui a fourni au groupe bénévole Grupa Centrum des tentes.  Ironique, quand on sait que cette fondation à but humanitaire appartient au groupe Orlen, la première entreprise de pétrole polonaise. À l’évocation de ce nom Dominika soupire tout de suite: « On a eu ce débat parlementaire où ils n’ont pas inclus le pétrole dans l’embargo, ce qui veut dire qu’Orlen n’est pas prêt d’arrêter ses affaires avec la Russie. Et maintenant on a cette fondation Orlen qui donne de l’aide à des réfugié.e.s qui fuient une guerre qu’ils financent ! »

Le (petit) stand du gouvernement à la gare de Varsovie
©Yvan Pierri

De la même manière, le gouvernement se soucie surtout de l’image qu’il renvoie, mais peu de la réelle utilité de ses actions. Alors que nous avons essayé d’interroger le stand du gouvernement à la gare, ces derniers ont refusé. En interviewant une volontaire de la population sur place sur le rôle de ces fonctionnaires, un air kafkaïen s’est fait ressentir : « On ne sait pas ce qui se fait dans ces stands et eux.elle non plus ne savent pas ce qu’ils font. Le truc bien, c’est qu’ils.elles donnent des sacs Ikea. »

 

 

 

 

 

« Le seul truc bien, c’est qu’ils donnent des sacs IKEA »
©Yvan Pierri

Corruption du système judiciaire et propagande

Au-delà de son comportement contradictoire, le PiS a eu une politique réellement totalitaire. « Ces derniers temps je répète à quel point c’est bizarre de vivre en Pologne parce que notre gouvernement a utilisé toutes les tactiques du Kremlin. » Premièrement, il s’est attaqué au système judiciaire : « le tribunal constitutionnel est l’institution la plus détruite. Ils ont placé leurs gens dans cette institution. Le système judiciaire dépend tout de même toujours des tribunaux provinciaux et nous avons heureusement toujours de bons juges, mais le système lui-même est complètement détruit, il est déstabilisé. » Résultat, en 2020, le gouvernement a fait passer l’interdiction de l’avortement via la cour suprême du pays.  Une fois qu’il a pris le contrôle des dernières instances judiciaires, le PiS a pu s’attaquer aux médias nationaux : « Avant 2015, la télévision nationale n’était bien sûr pas complètement neutre, mais elle n’était pas à ce point gérée par des politicien.e.s. C’est en 2014 que l’on a tout d’un coup commencé à voir du contenu très raciste, homophobe, sexiste et très anti-opposition. »  Le problème est que la moitié du pays, l’est, majoritairement rurale et pauvre, ne consomme que les programmes de la télévision gouvernementale, car elle est gratuite. Marcelina Zjawinska responsable d’une ONG à Varsovie nous a partagé son inquiétude à ce sujet : « il y a des moments où j’ai de l’espoir, mais après je parle à quelqu’un qui regarde les médias publics et je me dis : “où est ton cerveau, assieds-toi et réfléchis s’il te plaît. »

Rut, volontaire pour l’accueil des réfugié.e.s à la gare centrale de Varsovie et étudiante en journalisme, nous a avoué, alors même que son frère est journaliste pour un média nationale, : « c’est toujours de la propagande, parfois ils mettent des fake news, ils ne recherchent pas suffisamment. » Le milieu universitaire est heureusement encore autonome du gouvernement. La volontaire nous a d’ailleurs confié qu’elle hésitait à renoncer à sa carrière de journaliste : « À l’école où j’étudie, ils n’aiment pas mon frère. Donc c’est un peu difficile pour moi car je dois leur montrer que j’ai des points de vue différents. » Rut est en effet tristement connue à cause de son frère à l’université: « Des fois il fait des mauvaises recherches et oui, il est pour cette merde de propagande. »

« Je ne fais pas confiance aux politicien.ne.s, ceux.celles de Pologne en tout cas »

Chez nos interlocuteur.trices durant ce reportage, nous avons pu observer deux réactions. En premier lieu, une passivité troublante; Olga, jeune activiste de Grupa Centrum, nous assure  que le fonctionnement bancal du système polonais est habituel, confiant devoir se soigner dans le privé :”Pourquoi est-ce que je dois dépenser autant d’argent en impôts ?”   nous dit-elle, agacée. En second lieu, de la méfiance et de l’inquiétude : « Je ne fais pas confiance aux politicien.e.s, ceux de Pologne en tout cas » nous a avoué Marcelina l’activiste.  « Dans deux ans nous aurons les élections et je m’inquiète » nous a -t-elle  avoué : « Ils ne modifient pas juste la vérité, ils disent des putains de mensonges […] Mais j’essaie aussi de regarder vers le positif sinon je deviendrais folle » Selon Domika, les polonais devront « vraiment penser à comment on peut faire pour briser cette machine de propagande. Parce qu’on sait qu’ils.elles vont l’utiliser. Maintenant qu’ils.elles ont commis tant de crimes, d’abus des droits humains, ils.elles savent que s’ils perdent, beaucoup d’entre eux.elles iront en prison. Ils s’accrochent au pouvoir. » Dans tous les cas, le gouvernement semble avoir perdu toute crédibilité face à une partie de la population : « il y a des fois où je pense qu’ils.elles sont très malin.e.s, d’autres où je pense qu’il sont vraiment stupides » a avoué ensuite la jeune activiste, entre le rire et les larmes.  En effet, le gouvernement va jusqu’à prendre le crédit à la place des volontaires pour la gestion de la crise ukrainienne. « Et bien sûr, ils disent que tout ce qui se passe avec les réfugié.e.s est leur travail. » nous a relaté M. la responsable de l’ONG. La Pologne est donc calme en apparence, mais est en réalité  en proie à la politique brutale d’un pouvoir totalitaire qui se met en place, ce qui n’est qu’une contradiction de plus dans cette problématique. Dominika montre bien le paradoxe entre les idées reçues et la réalité polonaise : « Quand je parle à mes amis d’Allemagne, de France, de Belgique ou d’Italie, j’essaie de leur expliquer tout ça parce que quand j’organise des actions à l’international, les gens disent :”Oh voilà une autre fille blanche qui se ramène….”  Mais chéri, la Pologne, c’est l’Est Sauvage: vous ne savez pas ce qui se passe ici, c’est complètement différent »

Yvan Pierri, Loïs Pythoud, Mathias Cadena