Terminal Kultury, réinventer la collaboration en Pologne

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, des milliers de réfugiés arrivent en masse dans la ville de Varsovie. En réaction à l’inaction gouvernementale, de nombreux groupes de volontaires se sont organisés pour prendre en charge l’afflux massif. Spectrum est allé à la rencontre de plusieurs de ces groupes…

 

C’est dans un endroit égaré de l’est de Varsovie, dans l’arrondissement de Praga-Południe que se trouve un bâtiment blanc arborant en lettres bleues : Terminal Kultury.

Le bâtiment du Terminal Kultury
©Yvan Pierri

Ce qui devait être à la base un centre pour les personnes âgées s’est muté en “centre d’intégration” pour les réfugié.e.s ukrainien.e.s comme le dénomme Marcelina Zjawinska, responsable de l’ONG Fundacja Splot Społeczny. Elle est l’une des principales artisanes de la construction du centre d’intégration. Quand la rédaction de Spectrum fait sa rencontre, elle affiche des yeux aux cernes noires tombant sur une mine épuisée. Le résultat d’une journée de seize heures, elle-même le point d’orgue de deux semaines de travail ininterrompu. Malgré la fatigue, le caractère joyeux et enthousiaste de Marcelina ne tarde pas à se faire sentir : “Personne n’arrive à le trouver ce bâtiment” rigole l’activiste à l’évocation de la relative difficulté d’accès du Terminal Kultury. Il faut dire que l’édifice a tout juste deux mois et n’a même pas officiellement été inauguré.

Le groupe de prêt-à-porter polonais LPP tentant de se racheter une image publique
©Yvan Pierri

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, Marcelina et son ONG mettent en place un centre d’intégration dans cet édifice vierge, autrefois destinés aux seniors : “Le très cool directeur du Terminal Kultury nous a mis cet endroit à disposition pour installer des bureaux. Le maire  de l’arrondissement, qui est très ouvert, nous a mis en contact avec le directeur du terminal. Compte tenu des circonstances et du fait que nous devions agir au plus vite, il nous a laissé le louer et, pour ainsi dire, redéfinir le but du lieu afin d’aider les Ukrainien.ne.s.” explique Marcelina.

Une expérience inédite 

Gérés à la fois par l’administration de l’arrondissement, des entreprises du secteur privé, Fundacja Splot Społeczny et d’autres ONG tel qu’Ubraina Do Oddania (abrégé UDO), le centre d’intégration du Terminal Kultury est l’une des premières expériences de collaboration multi-sectorales en Pologne: C’est vraiment très innovant, ça ne se fait pas en Pologne d’habitude” s’enthousiasme Marcelina, dont l’ONG n’a, à la base, pas grand lien avec la géopolitique.

« Vêtements (à donner hehe) » L’abréviation d’UDO veut dire Vêtement à donner en français
©Yvan Pierri

En effet, la Fundacja Splot Społeczny, créée il y a deux ans et demi, se spécialise dans l’économie circulaire dans le cadre du secteur coopératif : “Nous suivons le modèle Asset Based Community Development (ABCD). Cela consiste à organiser les communautés autour de ressources afin qu’elles soient les plus indépendantes possible.” L’ONG recycle principalement des matériaux encore utilisables, le plus souvent jetés après l’organisation d’événements culturels et les intègre à sa philosophie ABCD. Depuis longtemps en partenariat avec l’ONG UDO, Marcelina peut compter sur cette dernière afin de fournir les habits.  

La décoration y est assurée par l’ONG de Marcelina
©Yvan Pierri

Également impliqué dans l’économie circulaire, UDO propose d’élégantes friperies placées à l’intérieur des supermarchés et dont la décoration est assurée par la Fundacja Splot Społeczny: ”Ils essaient d’attirer les gens qui sont rebutés par le côté bordélique des friperies” explique Marcelina. UDO recoud  les vieux habits et revalorise les vieilles collections de grands groupes de l’industrie polonaise du prêt-à-porter  tels que LPP: ”UDO a beaucoup de ressources et de contacts. Ils.elles ne fournissent pas de vieux vêtements, ils sont au contraire tout neufs. Ce que les groupes comme LPP  faisaient avant, c’était de brûler les anciennes collections. Mais maintenant, grâce à UDO, ils nous les donnent et nous les mettons  à notre tour à disposition des Ukrainien.ne.s.” LPP a également fourni au Terminal les étagères afin de ranger les grands stocks de nourriture, d’habits et de ressources en tout genre du terminal: “J’avais demandé des trucs basiques et j’ai reçu des vestes en cuir et des robes. Je crois que LPP essaie de se racheter. Ils.elles veulent commencer à devenir cool” pouffe Marcelina, en nous faisant visiter les stocks du terminal où vivres, produits hygiéniques, matelas, vêtements, cosmétiques et même landaus sont entreposés.

Ces ressources sont distribuées à l’étage où toutes les salles du terminal sont mobilisées et ont une fonction.  Espaces pour enfants, arrière-boutiques, stocks de vivres, salles administratives et espaces de soutien psychologique pour les adultes, chaque salle du Terminal Kultury est utilisée dans le but de faciliter l’arrivée des réfugiés dans l’environnement inconnu qu’est Varsovie: “Nous avons aussi un point d’information qui est géré par le conseil du district et nous avons des structures d’aide. Ici, les gens peuvent venir écrire des CV, rechercher des informations plus spécifiques.” À l’étage, on peut trouver dans la bibliothèque des ordinateurs aux claviers en alphabet ukrainien. Marcelina prévoit même d’installer une salle de musique à l’étage inférieur. 

Une sale de jeux pour enfant du Terminal Kultury
©Yvan Pierri

Le modèle ABCD

Malgré toutes les ressources que le Terminal Kultury met à disposition des réfugié.e.s, l’objectif reste de les aider à trouver leur indépendance au plus vite. Le terminal reste avant tout un centre de jour où les interactions sociales sont favorisées: ”On essaie d’intégrer, de mettre en réseau ces personnes qui viennent ici pour qu’elles s’aident mutuellement. Nous avons  les ressources pour atteindre nos objectifs. La seule chose est d’organiser et d’inventorier ces ressources en intégrant la communauté à ce processus afin de partager de l’expérience et des compétences. Le but est que les réfugié.e.s n’aient pas besoin de forcément passer par des institutions comme le  gouvernement.” 

Du soutien, le Terminal Kultury en reçoit beaucoup, se réjouit Marcelina: “On a même reçu beaucoup trop de crackers, je ne sais vraiment pas quoi en faire.”  Les journalistes des médias non-gouvernementaux et les restaurants des environs viennent souvent l’aider. Plus significatif, de nombreux.ses volontaires issus de la société civile polonaise se proposent de soutenir l’effort :”Quand les gens viennent ici et qu’ils voient ce qu’on fait, ils nous disent : “Je suis animateur pour enfants, je peux vous aider? “ et on répond: “Oui pourquoi pas…” Je suis prof d’anglais, est-ce que vous avez besoin de moi ici ?”  et on ne peut s’empêcher de répondre “Oui pourquoi pas….”  s’esclaffe Marcelina  qui note à quel point l’invasion russe est en train de réveiller les consciences en Pologne : “Tous les gens que je connais sont impliqués. Ce n’était pas une habitude avant d’être volontaire en Pologne. Maintenant les gens se disent: “je ne vais pas aller à la gym, je vais venir au terminal! ” Les gens se proposent d’apporter leurs compétences, leur expérience et de partager cela avec nous. Ils nous aident à construire notre programme. Ils s’incluent dans nos activités pour ainsi dire.“ constate joyeusement Marcelina qui ajoute avec excitation que le terminal aura bientôt les ressources nécessaires pour engager officiellement les volontaires les plus chevronnées en tant que travailleueuse sociale. “Ce ne sont que des filles” fait remarquer Marcelina, toujours avec le sourire…

Les grands stocks du Terminal Kultury
©Yvan Pierri

 

Loïs Pythoud, Mathias Cadena, Yvan Pierri