Uniters, l’association des Ukrainien.ne.s

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, des milliers de réfugié.e.s arrivent en masse dans la ville de Varsovie. En réaction à l’inaction gouvernementale, de nombreux groupes de volontaires se sont organisés pour prendre en charge l’afflux massif. Spectrum est allé à la rencontre de plusieurs de ces groupes…

 

Si la majorité des polonais.e.s se sera pris de plein fouet les conséquences de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, le conflit à l’origine de cet événement dure depuis 8 ans. C’est suite à la guerre du Donbass en 2014 que l’association Uniters se crée, dans la foulée du mouvement Euromaïdan qui avait secoué Kiev et le reste du grenier de l’Europe les mois précédents. Basée en Pologne, cette association a la particularité de n’être composée et gérée que par des Ukrainien.ne.s ou des personnes d’origine ukrainienne : “J’ai des racines ukrainiennes, c’est pour ça que je suis là” déclare Ola, bénévole de 36 ans née en Pologne et vivant actuellement aux Etats-Unis où elle travaille dans l’industrie musicale. À ses 18 ans, elle quitte un pays pour fuir une situation politique qu’elle “n’a jamais supportée”. “Si vous êtes une femme, vos droits sont merdiques et l’interdiction de L’IVG et de l’éducation sexuelle sont des choses qui ont toujours été très mauvaises. Ça n’a pas beaucoup changé malheureusement, c’est même devenu pire”  Les récents événements géopolitiques la poussent tout de même à revenir. Par sa maîtrise parfaite de l’anglais, elle dit être devenue la “responsable communication” de l’association: “Notre fondation a commencé par apporter de l’aide aux victimes de la guerre du Donbass et à leur famille. Nous avons commencé à organiser des vacances pour les enfants de soldats morts au combat ou dans des hôpitaux. Cela se passait ici en Pologne, dans les montagnes. C’était des moments d’échappatoire.“

Les activités de l’association ont évidemment quadruplé depuis que les missiles russes ont attaqué Kiev :” Tous les volontaires travaillent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour apporter de l’aide à l’Ukraine avant tout. Nous avons commencé par récolter de l’argent et des dons pour les distribuer au Ukrainien.e.s au front et dans les villes. En quelques jours, nous avons réalisé le nombre de réfugié.e.s qui devaient quitter le pays, donc nous avons ouvert un autre lieu où pour nous occuper d’eux.elles spécifiquement” récapitule Ola. Au rez-de-chaussée du quartier général de l’association où nous avons rencontré Ola, les volontaires s’activent afin d’empaqueter les vivres, produits hygiéniques et les autres ressources dont les réfugié.e.s ukrainien.ne.s se trouvant à Varsovie pourraient avoir besoin: “Nous essayons d’aider les gens qui viennent ici et nous aidons les gens qui sont en Ukraine également. C’est très difficile. Nous avons la chance d’avoir plusieurs chauffeur.euse.s ukrainien.ne.s qui viennent ici pour prendre les dons et les ramener en Ukraine.” note Ola qui précise par la même occasion que l’association essaie au maximum d’éviter les intermédiaires.

Un point de donation de l’association Uniters
©Yvan Pierri

Cela n’empêche toutefois pas Uniters de collaborer avec les autres groupes volontaires de Pologne afin d’aider les réfugié.e.s ukrainien.ne.s :” Nous essayons tous de coopérer, nous avons le sentiment que nous travaillons tous pour la même cause.” juge Ola qui n’hésite pas à tacler le manque de réactivité du gouvernement. Elle confie répéter à chaque interview à quel point la réaction de l’administration Duda est lente : “il n’y a pas eu assez de réactions du gouvernement. Je pense que tout le monde le ressent. Nous espérons qu’ils.elles finiront par nous aider.. Il y a tellement de volontaires qui travaillent jusqu’à l’épuisement, mais nous ne sommes que des gens normaux. Voir les limites de nos capacités est souvent très écrasant. “ En attendant, Uniters continue d’approvisionner les Ukrainien.ne.s hébergés dans les ménages privés des polonais.e.s en ressources afin qu’ils.elles ne dépendent pas trop de leurs hôtes : “Les polonais.e.s ont été incroyables. Ils ont accueilli beaucoup de monde. Mais évidemment, nous sommes conscient.e.s qu’une telle situation peut causer des tensions. Nous essayons d’éviter ça en donnant aux réfugié.e.s leurs propres affaires et leur propre nourriture pour qu’ils puissent cuisiner leurs repas…” Plusieurs réfugié.e.s ont confié à Ola que cuisiner pour leurs enfants était la chose qui leur manquait le plus. Contraint.e.s de vivre au crochet d’inconnus, certes généreux.euse.s, les ukrainien.ne.s regrettent leur indépendance autant que leur famille: “On mentionne souvent qu’on a laissé son père ou son frère au pays. Evidemment, ce sont majoritairement les femmes, les enfants et les personnes âgées qui viennent ici. Pour beaucoup d’entre eux.elles, vivre dans la maison de quelqu’un d’autre est un fardeau”  relate Ola après avoir souligné le fait que la situation des réfugié.e.s ukrainien.ne.s est difficile à résumer. En effet, bien que la majorité des ukrainien.ne.s soit passée par la Pologne, nombre d’entre eux.elles se sont séparés dans  plusieurs pays différents. Ola insiste sur le fait que l’expérience des réfugié.e.s est fondamentalement multiple:” Ils.elles sont nombreux.euse à  vouloir revenir au pays dès que possible, mais beaucoup ont aussi tout perdu et planifient d’aller plus loin à l’Ouest, comme en Allemagne, au Danemark ou au Royaume-Uni, et ont abandonné l’idée de pouvoir retrouver leur vie d’avant. Mais pas mal louent des appartements ici s’ils.elles peuvent se le permettre et planifient leur retour.”

En guerre

L’un des autres objectifs d’Uniters est d’apporter de l’aide directement dans les zones de conflit : “Nous fournissons aussi la défense territoriale. Nous essayons d’envoyer des gilets pare-balles. C’est les seules choses qu’on peut se permettre. C’est effarant de voir combien coûte la guerre. Nous nous sentons tous responsables d’essayer de les aider à être mieux protégés.” Une situation surréaliste pour ces civil.e.s qui n’ont aucune connaissance de la panoplie militaire: “Aucun de nous n’a d’expérience guerrière et ces derniers mois nous avons dû nous renseigner sur les drônes, les types d’armures, etc…”  Ce point démarque Uniters  des autres actions en faveur des réfugié.e.s ukrainien.ne.s que l’on peut voir à Varsovie. Les propos d’Ola contrastent parfois fortement avec le discours habituel des activistes varsovien.ne.s :” Nous ne pouvons pas acheter des armes, nous sommes une association charitable. Mais nous aimerions le faire… »  Si Uniters ne peut pas contribuer au conflit armée, une branche de l’association mène une guerre sur un autre front: la bataille de l’information. Depuis 2014, des organisations russes sont derrière de nombreuses campagnes de désinformation diablement efficaces:  “Nous étions au courant de ce fait en 2014, mais nous ne savions pas comment les combattre. C’est très facile pour la Russie de dire ce qu’elle veut. Nous nous sommes préparés à cela et nous avons mis sur pied cette énorme armée d’internet. Ces gens combattent la désinformation. Ils s’appellent “the IT army of Ukraine” et essaient d’attraper toutes les fake news et la propagande pour éviter qu’elles ne se propagent”

Au nom des pères

Le jour où Spectrum a pu s’entretenir avec Ola, celle-ci s’apprêtait à rentrer aux Etats-Unis afin de ramener son chien et son conjoint mais avec le projet de revenir très vite: “On a besoin de moi ici et tout ça est loin d’être fini” affirme Ola qui prévoit même de partir vivre en Ukraine en cas d’une hypothétique victoire de l’Ukraine, militaire ou diplomatique. Une ambition que de nombreuses personnes issues de la diaspora ukrainienne partage, à en croire la jeune musicienne, reconvertie en activiste: “C’est quelque chose dont les gens parlent beaucoup. Ils.elles veulent revenir pour soutenir l’économie du pays qui devra être reconstruite. Beaucoup de gens qui sont partis depuis longtemps se sentent mal de payer des impôts dans d’autres pays. L’Ukraine aura besoin de soutien et beaucoup sont prêt.e.s à venir, même s’ils.elles n’y ont jamais vécu. C’est le pays de leurs pères, c’est le pays de mes parents…”