J’ai 23 ans et je n’ai toujours pas de Rolex ! C’est grave docteur ? Chaque jour, on est dur avec nous-même et on cultive de la culpabilité. Comment diable peut-on s’aimer dans ces conditions ? Quelques éléments de réponse pour se diriger sur un chemin de lumière.
Ce matin encore, vous vous êtes peut-être levé un peu plus tard que ce que vous aviez prévu, et vous voilà déjà, de bon matin, à culpabiliser et à vous faire des reproches. Du quart d’heure de sommeil en plus, au doux dessert qu’il n’aurait pas fallu prendre, en passant par le livre que l’o
n aurait dû lire pour un cours… Tant de raisons qui attisent le feu de notre colère, mais est-ce bien là une manière de vivre sa vie ?
Lorsque l’on pense à l’amour, on pense à Éros.
Les Grecs avaient plusieurs mots pour différencier l’amour, dont Éros, qui est l’amour associé, entre autres, à la sensualité. Il y a aussi, par exemple, Ludus, l’amour joueur, de la séduction, ou encore la Philia, l’amour entre amis, basée sur la confiance et le respect mutuel.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui est la Philautia, un mot gris qui peut être compris comme un amour de soi narcissique qui conduit à l’arrogance, mais aussi un amour de soi sain et équilibré basé sur l’acceptation de soi. Et voilà le cœur du questionnement : L’équilibre.
L’équilibre de toute chose peut paraître comme évident, mais l’est-il vraiment ? Comme l’arbre qui cache la forêt, a-t-on vraiment compris l’arbre si l’on n’a pas compris la forêt ?
La paille dans l’œil du voisin.
La règle d’or, partagée par de multiples civilisations, nous incite à « faire aux autres ce que l’on aimerait que l’on nous fasse. » Mais avant de s’occuper des autres, il faut commencer à se faire ce qu’on aimerait qu’on nous fasse. Pour s’aimer soi-même, il faut cultiver l’indulgence et la compassion ; c’est en tout cas un des principes fondamentaux de la CNV développée par Marshall Rosenberg, psychologue américain dans les années 60.
La CNV, ou Communication Non Violente, est une étude et mise en pratique de la communication qui plonge ses racines dans la distinction des faits objectifs et des jugements subjectifs. Selon Marshall, « si nous ne sommes pas conscients du lien entre nos besoins et nos sentiments, nous limitons souvent la cause de ces derniers aux seules actions des autres ».
Loin de nous l’idée d’abolir les jugements, au contraire même, mais il faut comprendre que chaque action entreprise, par nous ou par un·e autre, répond à un besoin qui cherche à être assouvi.
Combien d’entre nous se sentent mal lorsqu’il·elle·s ne croient pas faire quelque chose de productif ? « J’suis vraiment trop con, j’ai passé trop de temps sur mon pc » deviendrait alors « J’ai passé x heures sur mon pc et je me sens coupable » et, là, il est vital de dialoguer avec soi-même, car le premier pas vers l’amour de soi, c’est d’être capable de s’accepter.
Demandez-vous quel besoin a été rempli dans ce cas ? Un besoin de repos, de divertissement, de stimulation… Une fois que l’on prend conscience de nos besoins profonds, on peut se libérer de la culpabilité en négociant un temps pour chaque chose, et enfin, plutôt que d’enchainer des plaisirs coupables, s’accepter pleinement.
Pour aller dans ce sens, il faut se faire une demande à soi-même. Demandez-vous quelle est la plus petite étape que vous pourriez entreprendre pour vous rendre la vie plus belle ? Il est important pour cela, que la demande soit concrète et pas simplement « j’aimerais être meilleur » ou « j’aimerais être plus organisé ». Cette demande s’appliquera aussi plus tard aux autres. Marshall raconte l’histoire d’une femme qui avait demandé que son mari passe moins de temps au travail. Alors il l’a écoutée, et quelle ne fût pas la surprise de la femme lorsqu’elle apprit que son mari s’était inscrit à un tournoi de golf. Une demande doit être concrète et positive.
Lâchez le riz !
Dans sa conférence « On est foutu, on pense trop ! », Serge Marquis, un médecin québécois spécialiste en santé mentale et en bien-être, nous conte comment l’on faisait en Malaisie pour capturer des singes. Les singes étaient attirés par des noix de coco qui avaient été vidées et dans lesquelles on avait placé du riz. Seulement, l’ouverture était assez grande pour y glisser la main, mais pas assez pour en ressortir le poing rempli de riz. Alors les singes s’énervent et hurlent, et tout ce dont ils avaient besoin pour sauver leur vie était de lâcher le riz.
Alors nous aussi, il nous faut lâcher le riz, et ne pas nous infliger plus de douleur que nécessaire. S’aimer soi-même commence par éviter de se faire souffrir inutilement. Il faut apprendre à faire preuve de « contentement », toujours selon les mots de Serge. À la fin de la journée, plutôt que de s’en vouloir et de se lamenter face à tout ce qui n’a pas été fait, ne serait-ce pas plus agréable de contempler ce qui a été fait et d’être fier de soi ? L’amour de soi se créé à l’aide du pardon et de l’estime de soi.
Pour ne pas finir seul comme un glandu.
L’arbre qui tombe dans la forêt sans personne pour le voir, est-il vraiment tombé ? Et une vie passée sans être présent avec les autres, a-t-elle vraiment été vécue ? C’est alors une co-construction nécessaire qui doit s’établir, comme un gland qui sans terre ne peut devenir chêne, une personne sans amis ni communauté ne peut vraiment devenir homme ou femme.
Comme disait Marshall Rosenberg : « Donner avec bienveillance est autant au bénéfice de celui qui donne que de celui qui reçoit. » Se mettre au service des autres, faire partie d’une communauté et voir le bien que l’on peut procurer autour de soi contribue à une renarcissisation de soi. Erving Goffman, sociologue américain, développe dans son livre « Asile » la notion d’ « institution totale », un lieu où des individus vivent et travaillent ensemble et où ils sont soumis à un contrôle de leur vie quotidienne. L’université n’est de loin pas un hôpital psychiatrique – quoi que… – cependant si l’on y prend pas garde, on peut se laisser emporter dans un train-train quotidien, or être dans le vent est une ambition de feuille morte.
Il faut se donner un cap, donner du sens à sa vie, et faire le bien autour de soi est un bon départ. En commençant par dialoguer avec soi-même, on développe de l’indulgence et on peut créer une paix intérieure. En prenant conscience que chaque personne a des besoins, et en lâchant le riz, on fait pousser en nous de la bienveillance. Toute cette chaleur qui grandit alors, on peut l’insuffler autour de nous et créer des cercles vertueux. En faisant grandir son estime de soi et en se pardonnant, on fait naître les conditions nécessaires au bonheur, et le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé.