Dossier FIFF: Critique C’est arrivé près de chez vous

À l’occasion de la 36ème édition du Festival international du film de Fribourg (FIFF), Spectrum vous propose une couverture des différents films et autres conférences qui parsèment le festival. Notre avis sur le film C’est arrivé près de chez vous

 

C’est arrivé près de chez vous, c’est probablement un des pires et un des meilleurs films que je n’ai jamais vus. Un des pires, car il est absolument affreux, d’une violence inouïe, est ponctué de nombreux meurtres, et il n’y va pas de main morte avec des blagues d’un goût carrément douteux. Et un des meilleurs, justement parce qu’il est extrêmement drôle, si toutefois vous êtes adeptes de l’humour noir et de l’humour absurde. Sinon, vous feriez mieux de passer votre chemin…

C’est arrivé près de chez vous est un film de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, sorti en 1992. Il s’agit donc d’un faux documentaire sur Benoît Poelvoorde, qui est ici un tueur en série. D’emblée, on comprend qu’il s’agit de second degré, au minimum.

Le film s’ouvre sur un meurtre : Benoît Poelvoorde étrangle une pauvre innocente dans le train, le tout filmé de manière très rapprochée et très crue. Scène suivante, Benoît Poelvoorde est à côté d’une falaise surplombant une rivière, un sac mortuaire à ses pieds. Il disserte sur les différentes manières de lester un corps, en prenant compte de la corpulence de la victime, mais également de son âge. Les personnes âgées ont les os plus poreux, paraît-il. Il faut donc adapter le lest en conséquence.

L’enchaînement de ces deux scènes dit tout de ce qu’est ce film, et du type d’humour que l’on y trouve. Humour noir, car la mort y est omniprésente, mais n’est jamais prise au sérieux. Et l’humour absurde est sublimé par le montage de Rémy Belvaux, passant d’une scène d’une extrême violence à une atmosphère calme, parfois philosophique.

Avant de revenir sur le film lui-même, j’aimerais dire quelques mots sur ces deux types d’humour, que j’affectionne particulièrement. L’humour noir, car il nous permet de mettre l’horreur en dérision pour mieux accepter le réel. Et Dieu sait si le réel est compliqué en ce moment, selon où l’on regarde. Et ce, d’autant plus que c’est un type d’humour qui n’épargne personne, un humour égalitaire en somme. C’est un humour qui, par définition, n’a pas de limites, se moque du bon goût et de la bienséance, et peut donc toujours aller plus loin.

Ça me fait penser à une chose que disait le youtubeur Joueur du Grenier, une référence pour nombre de personnes de la génération Youtube et pour les plus jeunes probablement aussi. Le Joueur du Grenier donc, disait en somme que, lorsqu’on a peur d’aller trop loin avec une blague, il faut forcément aller beaucoup plus loin, être indécent, afin que les gens puissent comprendre que ce n’est pas sérieux, et qu’on ne puisse pas accuser la personne qui la fait de complaisance envers le thème qu’elle aborde.

En somme, une blague sur les nazis ne fait pas de nous un nazi. Cette blague peut d’ailleurs nous permettre de dénoncer les horreurs commises par le régime nazi, tout en nous épargnant le fait de devoir supporter le poids des atrocités inhérentes à son évocation. Je finirai sur ce point en disant que chacun a ses propres limites et ses propres niveaux de tolérance, ce qui est tout à fait normal. Et il est vrai que C’est arrivé près de chez vous dépasse sans doute les limites que peuvent supporter une bonne partie d’entre nous.

Et le deuxième type d’humour que je souhaitais aborder par le biais de ce film est l’humour absurde. L’absurde, c’est la surprise, c’est l’incompréhension. De nouveau, c’est un type d’humour qui ne peut pas parler à tout le monde, tant il est particulier et demande de la part du spectateur, de l’auditrice, une propension au fait de vouloir se laisser surprendre et une ouverture d’esprit dénuée d’attente.

Dans C’est arrivé de chez vous, l’humour absurde est beaucoup dû au montage, qui alterne des scènes d’une extrême violence avec des scènes extrêmement calmes, ou l’inverse. Un instant, des enfants jouent à la guerre avec des pistolets en plastique. L’instant d’après, Benoît Poelvoorde assassine plusieurs personnes au pistolet.

Il faut mine de rien beaucoup de créativité pour faire du bon humour absurde. C’est arrivé près de chez vous combine à merveille et à outrance ces deux types d’humour, et est sans doute un des films les plus drôles que je n’aie jamais vu.

Un petit bémol cependant, je trouve que c’est un peu long sur la fin, j’ai l’impression que, passé l’effet de surprise que provoque le film et certaines de ses scènes les plus cultes – on peut penser notamment au cocktail « Le petit Grégory » -, on est peu à peu immunisé par les excès qu’il amène, et qu’il gagnerait à être un tantinet plus court.

Mais pour revenir sur l’histoire du film. Ne vous inquiétez pas, à la fin la morale est sauve.

Sinon, à noter que nous avons eu droit à un mot de Rémy Belvaux spécialement pour le FIFF, qui pose dans le cadre de sa section Décryptage la question de l’actualité de ce film. Le réalisateur disait notamment que C’est arrivé près de chez vous avait été inspiré par une émission qui annonçait les prémices de la téléréalité, et qu’il souhaitait dénoncer l’obscénité de ce genre télévisuel.

En conclusion, je dirais que si vous aimez l’humour noir ET que vous avez le cœur bien accroché, il faut absolument que vous voyiez ce film. Sinon, abstenez-vous. Vraiment.