En complément de l’article de fond traitant de la problématique de la révision de la loi sur l’Université publié dans le Magazine Spectrum, découvrez l’interview exclusive d’Isabelle Chassot, conseillère d’Etat chargée de l’Instruction publique.

Isabelle Chassot (47 ans) est membre du Conseil d’Etat du canton de Fribourg depuis 2001. A la tête de la Direction de l’Instruction publique, de la Culture et du Sport (DICS), elle préside également la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP). Dans le cadre du débat autour de l’avant-projet de la révision de la loi sur l’Université (cf. article Spectrum 26.11), elle a accepté de répondre aux inquiétudes des étudiants.

D’après vous, l’avant-projet provoquera-t-il des grands changements dans la politique universitaire et pour les étudiants?

La loi actuelle a été élaborée à un moment où l’autonomie universitaire était à ses premiers balbutiements en Suisse; elle instaurait l’enveloppe budgétaire et le contrat de prestations sans en spécifier ni la forme ni la périodicité. Elle renforçait le Rectorat tout en proclamant l’autonomie des facultés. Et les professeurs continuaient à être engagés par l’Etat.

Sans toucher à l’esprit de la loi de 1997, il s’agit d’aller un pas plus loin dans la réalisation de l’autonomie de l’Université. Les modifications concernant plus directement les étudiants sont celles relatives aux taxes et émoluments, à la protection des titres et aux sanctions disciplinaires. Aucune nouvelle taxe n’est introduite – la loi spécifie les compétences y relatives. Pour les sanctions disciplinaires, une base légale explicite manque actuellement, mais les Statuts définissent déjà les atteintes à l’ordre universitaire et les sanctions y relatives. La protection des titres permettra à l’avenir de prévenir leur utilisation frauduleuse.

En ce qui concerne la politique universitaire, c’est la LEHE (loi sur l’encouragement et la coordination des hautes écoles, ndlr) qui sera déterminante et apportera des changements pour les hautes écoles. Les modifications de la loi sur l’Université de Fribourg ont pour but de permettre à celle-ci d’être un acteur actif de la politique universitaire nationale. La loi actuelle ayant déjà instauré la gestion autonome de l’institution, avec des organes représentatifs de tous les corps universitaires et avec un processus de qualité interne, les modifications ne sont pas radicales.

L’avant-projet permettra-t-il à l’Université de Fribourg de concurrencer efficacement les autres universités suisses dans le domaine de la formation?

Les modifications introduites visent à mieux différencier la conduite académique où les facultés jouent un rôle prépondérant de la conduite institutionnelle qui dépend du Rectorat, le Sénat ayant un rôle de conseil et de contrôle. Il s’agit de trouver un bon équilibre entre la gestion centralisée de l’institution, permettant de la positionner comme une entité forte sur l’échiquier suisse de la formation universitaire et la gestion décentralisée où les compétences scientifiques des professeurs sont essentielles. Cet équilibre est difficile à trouver; la loi doit créer un cadre qui y contribue. La conférence des doyens est une des mesures allant dans ce sens.

La révision entend avant tout renforcer l’Université comme un tout, avec une stratégie globale qui réunit, mais aussi dépasse les intérêts particuliers des facultés, des départements, voire des domaines. Le positionnement de l’Université, la qualité de son enseignement et de sa recherche, les conditions de formation qu’elle offre aux étudiants dépendent aussi bien de chaque professeur que des structures qui doivent faire jouer ensemble les éléments, à chaque fois au niveau adéquat, pour qu’ils soient conhérents.

Selon le journal « La Brèche », proche des milieux alternatifs estudiantins, cet avant-projet pousserait l’Université de Fribourg à adopter des lois du marché économique qui seraient incompatibles avec la fonction même de l’institution. Quel est votre avis?

Je peine à comprendre cette lecture. Aussi bien le groupe de travail, présidé par Mme Ruth Lüthi, que la DICS n’ont le moindre doute qu’une université est tout autre chose qu’une entreprise gérée par les seules lois du marché. Bien au contraire, nous réaffirmons que l’université est une institution publique et qu’aussi bien la formation universitaire que la recherche sont des prestations de service public. La modification proposée ne diminue pas la participation de tous les corps universitaires à tous les niveaux de l’institution (elle l’élargit même pour les collaborateurs administratifs et techniques). La liberté de l’enseignement et de la recherche reste inscrite dans la loi. L’autonomie de l’institution est même renforcée.

Le caractère public a cependant pour corollaire que l’Université doit rendre des comptes. Elle doit aussi vivre dans le monde qui est le nôtre. C’est uniquement en disposant des outils de conduite adéquats et en démontrant l’importance pour la société des valeurs qu’elle défend qu’elle pourra maintenir son caractère spécifique. La révision proposée spécifie les conditions d’octroi de l’enveloppe financière et leur contrôle. Elle souhaite aussi donner au Sénat, en diminuant le nombre de ses membres, plus de facilités à agir et à prendre des décisions. Toutefois, cet organe garde son caractère délibératif et sa composition mixte interne-externe. Rien, ni dans sa composition, ni dans ses compétences n’en font un conseil d’administration.

Blaise FaselIsabelle Chassot : «Une université est tout autre chose qu’une entreprise gérée par les seules lois du marché». DR