«Je me présente : Kinsey Millhone, trente-deux ans, détective privée immatriculée dans l’État de Californie, deux fois divorcée, sans enfant.» Ainsi commence le roman noir « A comme Alibi » écrit par Sue Grafton dans les années 1980.

Dans ce polar, il s’agit de retrouver le coupable d’un meurtre commis huit ans plus tôt. L’épouse de la victime s’étant fait faussement condamnée, elle fait rouvrir l’enquête le jour après sa sortie de prison. Comme beaucoup de polars, le moment le plus crucial est le retournement de situation. Pour ce qui est de cet opus, on a rarement lu quelque chose d’aussi inattendu et d’aussi crédible à la fois, mais pas condition de vous spoiler cette fin sensationnelle!

« A comme Alibi » est le premier tome d’une série connue sous le nom d’Abécédaire du Crime, car chaque volet a une lettre pour titre. L’œuvre d’une vie pour Sue Grafton, dont les nombreuses idées de meutres lui sont venue lors de son divorce. On note déjà au deuxième tome («B comme Brûlée») une routine dans la composition du récit. Le nom d’un client particulier ou d’un lieu central pour la trame commence par la même lettre que celle du livre, ce qui permet aux traductions de suivre le même modèle de titre qu’en version originale. La conclusion de l’affaire est toujours accompagnée par un compte-rendu des événements, semblable à un rapport que l’enquêteuse aurait écrit pour son client. Seule exception à cette règle: «P comme Péril», dont la conclusion devait sembler tellement évidente pour l’auteure, qu’elle n’en n’a pas écrit. Beaucoup de lecteurs se sont alors plaint de cette fin abrupte et dépourvue de sa conclusion habituelle, ce qui a incité l’auteure à ne plus commettre de pareille « négligence ».

Chaque histoire se suit à un intervalle de trois à six mois. «A comme Alibi» débute en 1982 et le 20ème tome «T comme Traîtrise» en hiver 1987, bien que ce dernier ait été écrit en 2007. Les cas se déroulent dans une époque où la technologie n’était pas aussi avancée qu’aujourd’hui, ce qui donne un aspect inhabituel mais authentique au récit. Le style d’écriture et le vocabulaire soutenu rendent également la lecture pittoresque et propre à l’époque, où l’histoire est située. Au contraire de certains romans qui se veulent « historiques » sans pour autant réussir à retransmettre l’atmosphère du moment, la description des situations est ici très détaillée, allant de la météo influençant le comportement des personnages à l’architecture, à la décoration intérieure des immeubles en passant par les tics d’un individu. Tous ces détails parfois drôles invitent à réfléchir et procurent un sentiment d’immersion totale au sein du récit, que l’on n’a pas l’habitude d’éprouver en lisant certains bestsellers américains actuels, qui garnissent leur récit de futilités servant à remplir les pages. Et comble du réalisme, notre détective ne résout pas que des meurtres mais est souvent face à de la paperasse juridique.

L’auteure Sue Grafton, désormais âgée de 74 ans,  a achevé son 23ème volume l’année dernière («W is for Wasted», pas encore traduit en français) et au train où vont les choses «on voudrait qu’il y ait plus de lettres dans l’alphabet», comme le regrette le New York Times à la sortie de ce dernier opus. Malheureusement, une adaptation audiovisuelle de la série ne verra pas le jour. Son passé de scénariste l’a dissuadé de toute collaboration avec Hollywood et elle menace de revenir hanter ses descendants s’ils décident d’en faire autrement après sa mort.

Clarisse Aeschlimann