Theeb, réalisé par Naji Abu Nowar, parle de désert et d’amour fraternel. Prix du meilleur réalisateur et de la meilleure direction artistique au Biennale di Venezia, il est projeté en ce moment au FIFF. Deux de nos rédacteurs ont été voir le film pour vous donner leurs impressions.

 

Entretien avec le réalisateur en lien 

Un conte arabe avec un air de western

Theeb, un film réalisé par Naji Abu Nowar, nous plonge dans l’histoire d’un jeune bédouin et dans un monde arabe déchiré par la Première Guerre mondiale.  Offrant des images spectaculaires du désert Wadi Rum, le récit du film est une véritable ode à l’amour fraternel.

L’histoire est celle de Theeb, un jeune bédouin dont le nom signifie « loup ». Les évènements ont lieu en 1916, en pleine Première Guerre mondiale. Alors que la vie suit son cours, tout est chamboulé par l’arrivée nocturne d’un officier de l’armée britannique en compagnie de son guide. Les deux étrangers sont sur une mission secrète et ils demandent au frère de Theeb, Hussein de l’aide pour arriver jusqu’à un mystérieux puit romain. Alors qu’Hussein part avec les deux étrangers, Theeb décide de suivre son frère, entamant alors une aventure qui le conduira à la rencontre du désert, des bandits et la Grande Guerre. C’est à travers des paysages somptueux qu’on découvre une histoire faisant l’apologie de l’amour fraternel et que se développe une tragédie mélangeant les coutumes bédouines et l’industrialisation d’un monde en guerre.

L’histoire ne tire pas sa force des grands dialogues. C’est à travers des regards et des gestes des protagonistes qu’on prend conscience de la profondeur des relations entre eux et la richesse de l’histoire. Des objets comme des cigarettes et briquets servent de thème à travers le film et semblent provoquer un sentiment de rupture dans un décor tiré d’un conte des mille et une nuits. C’est au fil du film que ce contraste entre les coutumes bédouines et les symboles de la modernité augmentent pour à la fin conclure dans l’apparition d’un train à vapeur, symbole par excellence de l’ère industrielle.

Le travail avec la caméra est très bien fait. Seul bémol est la scène sous les tentes où la caméra tremble  très légèrement. On joue aussi avec l’effet de la nuit pour donner aux gens arrivant vers le feu de camp une allure spectrale ou faire disparaître l’homme quittant le camp dans une noirceur totale. La caméra reste aussi près des protagonistes, permettant de focaliser l’histoire sur eux. Ceci permet aussi de pouvoir renforcer le sentiment de peur quand par exemple les deux frères sont encerclés en pleine nuit par les bandits et qu’on entend les menaces des brigands sans jamais les voir.

L’objectif du réalisateur Naji Abu Nowar était de faire un western sur les Bédouins durant la période de la grande révolte arabe. Cette  période a attiré son attention, car ayant tous les caractéristiques d’un western. Le monde arabe était à l’époque soumis à des changements brutaux. Néanmoins le but du réalisateur n’était pas d’imposer le genre de western dans le monde des Bédouins, mais de faire une synthèse entre la culture bédouine et ce genre de cinéma.

Le film « Theeb » est visuellement magnifique, l’histoire est très profonde et on a un mélange réussi d’un conte arabe avec les éléments d’un bon western. Si la fin peut sembler tragique, elle accentue à sa façon la profondeur du lien entre les deux frères. Il ne fait donc aucun doute qu’il mérite d’être visionné durant le Festival International de Films de Fribourg,  déjà pour les images du désert qui sont à couper le souffle.

Alexandre Loretan

Un jeune loup du désert dans la tourmente de la guerre

Un drame historique poignant, qui se déroule dans une communauté bédouine prise dans la tourmente de la première guerre mondiale.

Parmi les films présentés au FIFF, se trouvent toutes sortes de production, de la plus expérimentale aux blockbusters méconnus. Quant à Theeb (« loup » en arabe), il s’agit d’un des grands succès de cette édition.

1916, l’étendue désertique du Wadi Rum jordianien. Minuscules aux milieux des vastes ergs sablonneux, deux silhouettes : Theeb et son grand frère s’entraînent à tirer, se chamaillent. Leur paisible quotidien est perturbé par un Anglais qui convaincra les deux Bédouins de le mener jusqu’à un point de rendez-vous d’où il pourra rejoindre les unités qui harcelaient les franges de l’empire ottoman durant la première guerre mondiale. Entre le désert, les brigands et les soldats, le jeune Theeb va devoir apprendre à se comporter en véritable fils du désert s’il veut échapper à la folie de l’Histoire en marche.

Inspiré des westerns de John Ford ou encore des films de Kurosawa, ce film est une véritable ode au désert et aux Bédouins, parmi les derniers nomades du monde. Servi par des images à couper le souffle, Theeb emboîte la petite histoire dans la grande, sans poser de jugement moralisateur. On appréciera particulièrement les performances des acteurs, majoritairement des Bédouins recrutés pour tournage et dont c’était la première expérience cinématographique. La prestation de l’enfant incarnant le jeune Theeb, notamment, est criante de vérité. Déjà montré à Venise et Toronto, ce film ne devrait pas tarder à être projeté sur les écrans de Romandie. Au milieu de toutes les représentations hollywoodiennes du monde arabe, pétries de manichéisme, ce petit bijou d’esthétique et d’écriture est une bouffée d’air rafraîchissante pour le spectateur intéressé par un pan de la Grande Guerre qui a trop souvent été réduit à la figure éternelle de Lawrence d’Arabie.

Florian Mottier

Crédits photographiques: FIFF, « Theeb »