Dans le cadre du FIFF (Festival International du Film de Fribourg), Spectrum a eu la chance de rencontrer Naji Abu Nowar, le réalisateur de Theeb, présenté en compétition internationale. Ce drame historique qui se déroule dans une communauté bédouine prise dans la tourmente de la première guerre mondiale. Le réalisateur, d’origine britannique et jordanienne a bien voulu répondre à quelques questions à propos d’un tournage épique.

 

Spectrum : Vous êtes né en Angleterre ; qu’est ce que cela fait de grandir entre deux cultures différentes ?

Naji Abu Nowar : Je suis né à Oxford, et j’ai passé littéralement la moitié de ma vie à faire des allers retours entre la Jordanie et l’Angleterre. Effectivement, il s’agit de deux cultures très différentes mais elles partagent aussi une histoire en commun, la Jordanie ayant été un mandat britannique. La Jordanie a tout de même une composante presque britannique, ce dont je suis, d’une certaine manière, le produit. Ça m’a appris à ne pas juger et à regarder les deux cultures d’une manière empathique. J’ai souvent dû m’expliquer, dans chacun de ces deux pays sur ces origines mêlées.  Je crois que ça permet de prendre un peu de recul sur le monde, à force de devoir tout le temps l’expliquer.

D’où vous est venu cet intérêt pour l’histoire des Bédouins ?

Mon père est historien et il adore raconter des anecdotes ou des épisodes de l’histoire jordanienne. J’ai toujours grandi entouré des histoires concernant les grandes tribus bédouines, leurs héros et toutes ces légendes, ce qui m’a toujours fasciné. 

Pouvez vous décrire les différentes étapes nécessaires à la réalisation d’un film d’une telle envergure.

Je voulais vraiment réaliser un western bédouin, mais je ne savais pas comment faire, quand j’ai découvert un petit scénario écrit par un de mes amis, Bassel Ghandour, qui parlait d’un drame poignant entre deux frères. J’ai pensé que ce serait un bon point de départ. Quand on a parlé d’en faire un film, on a les deux convenu que le mieux à faire, vu notre peu de connaissances sur les Bédouins, était de rester là bas, de les comprendre et d’apprendre de ces gens afin de faire quelque chose qui soit vraisemblable et authentique. Après une longue recherche, on a trouvé une des dernières tribus à avoir été sédentarisée et on est resté là bas une année. Ces gens étaient les derniers Bédouins à avoir été sédentarisés, dans les années 1990. Donc la majeure partie des protagonistes de ce film, à l’exception du jeune garçon, né au village, sont nés nomades et ont vécus la majeure partie de leur vie comme tels. C’est pour ça que nous les avions choisi. Ils savaient beaucoup de choses sur le mode de vie nomade, surtout les anciens. Ils avaient vraiment des anecdotes merveilleuses. Ça nous a laissé le temps de développer une histoire, avec leur aide. On a même fait des workshops avec les acteurs, vu qu’on avait beaucoup recruté parmi leur tribu. Pendant huit mois, on a recruté, fait des repérages pour le tournage, en essayant de trouver comment tourner un film dans des conditions aussi dures. C’était un vrai défi logistique. Il fallait déplacer les gens, l’équipement et même des vivres à travers un milieu très difficile, sans liaison téléphonique ou même l’Internet. C’était vraiment un sacré défi.

Comment était-ce de tourner dans des conditions aussi extrêmes ? 

C’est amusant parce que beaucoup de gens me posent cette question. C’était effectivement assez rude. Il y avait des tempêtes de sable, des crues, des serpents, des araignées et des scorpions. C’était parfois dangereux, surtout les quelques fois où je me suis perdu et que les Bédouins ont dû venir me retrouver. Mais c’était aussi une expérience incroyablement heureuse et amusante. Ces conditions rapprochent vraiment les gens. Notre équipe de tournage était comme une famille et les Bédouins se sont montrés très prévenants. Je crois que tout le monde s’est amusé. 

Vos films ont été projetés dans de nombreux festivals, dont Venise, Toronto et maintenant Fribourg. Comme expliquez vous cet intérêt global pour l’histoire du Moyen-Orient ? 

Je n’en ai vraiment aucune idée. On a été complètement surpris. Bien sûr, on est très fiers de notre film, on a adoré le faire et on pensait qu’il méritait une distribution internationale. Cependant, on ne pensait pas qu’il recevrait un intérêt aussi grand. C’était une superbe expérience de le projeter autour du monde, dans ces divers festivals et face à des publics de différentes cultures.

L’Occidental que vous représentez dans le film est dépeint d’une manière très neutre, malgré le fait que les accords Sykes-Picot sont en partie responsables de la situation actuelle au Moyen-Orient. Comment votre public jordanien perçoit-il cette période que vous avez choisi de représenter ? 

Vous savez, je pense que c’est dangereux vouloir à tout prix adjoindre un point de vue politique à propos de ce qu’a fait un pays dans un film. Je pense que cela mène à des personnages très manichéens. J’essaie de ne pas faire des films politiques où je ferais absolument passer mon opinion sur le monde parce que cela mènerait à des mauvais films. Forcer la politique dans un scénario lui donnerait vraiment un côté très artificiel. On vient de sortir le film en Jordanie et il a eu un énorme succès. On a même dû programmer des séances supplémentaires. Je crois que le public adore le fait que pour une fois, ils ne sont pas dépeints comme des terroristes, des membres d’Al Qaeda. Ils apprécient vraiment le fait de pouvoir aller voir un western au cinéma.

Dans une autre interview, vous avez parlé de votre amour pour les films de Kurosawa. Avez-vous eu d’autres sources d’inspiration pour Theeb et comment votre film diffère des clichés du genre du western ?

On s’était fixé une règle quand on a développé ce film, c’était de ne jamais se permettre de prendre des éléments typiques du genre et de les superposer à l’histoire et au sujet. Nous avons donc vraiment développé le film de manière organique, avec les Bédouins. Quand ils nous racontaient un épisode de leur histoire, et que ça correspondait aux clichés du genre,  comme l’épisode du chemin de fer, on l’utilisait. Mais on n’a jamais superposé quoique ce soit à leur culture. On a vraiment essayé de faire quelque chose qui était proche d’eux. Pour l’inspiration, je citerais John Ford, qui a lui même inspiré Kurosawa, dans des films comme La Prisonnière du Désert. Vous allez rire, mais je me suis aussi inspiré de vieux films des studios Disney, comme Le Livre de la Jungle, Pinocchio ou Bambi.

Avez-vous une anecdote sur le tournage de ce film à nous faire partager ?

Une des anecdotes les plus impressionnantes, s’est produite durant une scène filmée près du puits, en octobre, au début de la saison des pluies. On était dans une gorge très étroite et il a commencé à pleuvoir. Les Bédouins sont devenus très inquiets et m’ont dit qu’il fallait qu’on sorte immédiatement. On a ramassé tout notre équipement, mais on a dû laisser certains éléments sur place, par manque de temps. A peine étions nous partis qu’une crue est arrivée et a tout détruit. On a vraiment eu de la chance.

Propos recueillis par Florian Mottier