58 ans d’histoire Spectrum : Episode 2
En 1947, les philosophes Horkheimer et Adorno, ont dénoncé un totalitarisme caché dans la culture de masse naissante : « L’industrie culturelle ne sublime pas, elle réprime. En exposant sans cesse l’objet du désir, le sein dans le sweater et le torse nu du héros athlétique, elle ne fait qu’exciter le plaisir préliminaire non sublimé que l’habitude de la privation a depuis longtemps réduit au masochisme. Il n’y a pas de situation érotique qui, à l’allusion et à l’excitation, ne joigne pas l’avertissement très net qu’il ne faudra pas aller plus loin. »
En 1976, par le biais d’un poème provoquant, les spectrumiens ont mis l’accent sur la répression sexuelle. Le rédacteur dénonce un « silence que l’on ne brise que pour blâmer ». Le sexe ne doit être abordé que sous les règles de cette bonne vieille bienséance.
Au milieu du journal, un poème encadré d’un dessin de phallus, dénonce la censure. La page d’après (à lire page 14, ci-dessus) crie contre la non-acceptation de l’homosexualité. « Avez-vous peur de votre sexe ? La structure de la société permet-elle à chacun d’assumer sa sexualité ? L’interdiction du désir ne fausse-t-elle pas une bonne partie de nos relations avec autrui ? » Le problème est clair et bien posé.
Et aujourd’hui ? A l’ère de la soi-disant omniprésence de la sexualité et du porno à gogo qu’en est-il ? Quelle serait la réaction à ce même article ?
Il y a quelques années, le réalisateur de films X, Marc Dorcel croit voir dans notre époque une forme d’autocensure¹. Une « hypocrisie sociale » en ce qui concerne la sexualité. L’érotisme des années 70 clairement présent dans un film tel que « Emmanuelle » s’est recroquevillé et a été remplacé par la toute-puissance du porno (on confond d’ailleurs aujourd’hui aisément les deux termes). Porno qui par ailleurs, à sa manière, normalise (masculinise) le sexe. Il n’en reste pas moins que la société désormais plus ouverte sur la question de la sexualité et le désir n’est plus une interdiction. La répression et la censure ne sont plus publiques, deviennent-elles phénomène privé, caché, comme Adorno et Horkheimer l’avançaient au début des années 50² ?
On pourrait se dire que parler de sexe n’est à notre époque plus un problème en soi. Il reste dans le domaine de l’intime ce qui ne semble pas être un mal mais la parole est plus libre à ce sujet. Peut-on alors parler de « liberté sexuelle » par opposition à la répression contre laquelle Spectrum se révoltait il quarante ans ? Qu’est-ce qu’être libéré sexuellement au final ?
Coralie Gil
¹ HORKHEIMER Max et ADORNO Theodor W., La dialectique de la Raison, Gallimard, 1974, coll. « tel», page 207 ² Le sexe est-il vraiment partout ? Chez Dorcel, on en doute ! via L'Obs
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