Depuis des semaines, la République gabonaise se trouve plongée dans une crise politique majeure. Les résultats de la dernière élection présidentielle sont contestés par les opposants au président sortant, Ali Bongo. Ceux-ci dénoncent des trucages et des malversations.
Entre temps, les forces de l’ordre ont durement réprimé les opposants au pouvoir causant même des morts, surtout dans le camp du principal rival de Bongo, Jean Ping. Spectrum a donc interviewé Elza-Ritchuelle Boukandou, une jeune gabonaise et porte-parole de Jean Ping. Celle-ci a accepté de donner sa vision de la situation actuelle au Gabon, mais aussi du continent africain.
Spectrum : Très chère Elza, j’aimerais te remercier pour avoir accepté de donner cette interview à Spectrum. Pour commencer, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Elza-Ritchuelle Boukandou : Je suis juste Elza, jeune militante politique gabonaise d’obédience socialiste, membre et accessoirement présidente du Mouvement des Jeunes Upegistes. Dans le cadre des dernières élections présidentielles du 27 août 2016, j’ai eu le plaisir et le bonheur de compter parmi les porte-paroles du candidat consensuel de l’opposition gabonaise, élu du peuple gabonais, Jean Ping.
Depuis plusieurs semaines, le Gabon est agité par les résultats contestés de l’élection présidentielle. Certains affirment même qu’il aurait eu des fraudes pendant le processus électoral. Quel est ton avis ?
En réalité, mon avis importe peu. Ce qui compte, c’est le choix des gabonais. Et les gabonais ont massivement fait le choix de porter Jean Ping à la tête du Gabon. Comme dans tous les pays du monde où les règles démocratiques sont respectées, les résultats sont connus par tous à l’issue du vote par le truchement du dépouillement, qui est public. Au soir du 27 août, les gabonais ont tous su que Jean Ping était l’élu grâce notamment aux réseaux sociaux qui ont permis le croisement des résultats. Curieusement, les seuls à ne pas savoir le résultat étaient Bongo et ses affidés, qui n’ont su le résultat que quatre jours après le vote.
Dans l’intervalle, conformément à la loi, les gouverneurs de huit provinces sur neuf ont rendu public les résultats à peu près conformes aux résultats que nous avions déjà. A l’issue de ces proclamations, Jean Ping avait une avance de plus de soixante mille voix sur Ali Bongo. Alors que la province du Haut Ogooué, où sont inscrits près de soixante-onze mille électeurs, n’avait pas encore rendu public ses résultats à l’instar des autres, on apprenait par nos représentants à la commission électorale censée centraliser les résultats, qu’un procès-verbal rendrait compte d’un vote de près de 100% des inscrits pour plus de 95% en faveur d’Ali Bongo dans cette région, exactement ce qu’il fallait pour qu’Ali Bongo espère remporter par le bureau du gouverneur ce qu’il a perdu dans les urnes du peuple. Sauf que chaque candidat a, à l’issue du dépouillement, une copie des procès-verbaux des opérations électorales. Au moment de ces résultats, les procès-verbaux que nous avions recouvraient près de 50% de l’électorat du Haut Ogooué, rendant compte de plus de onze mille électeurs qui s’étaient abstenus alors que les chiffres officiels parlent de quatre cent abstentions pour toute la région. C’est donc une fraude, une triche, un tripatouillage, tout ce que vous voulez mais ce n’est pas certainement pas l’expression de la volonté des gabonais qui ont décidé de mettre Jean Ping à la tête du Gabon.
Après l’élection, le Gabon a été secoué par des violences. Comment les as-tu vécues ?
Pour être dans l’équipe de campagne de Jean Ping, je n’ai été au fait des violences, car ce qu’il faut dire c’est que nous sommes la cible de la violence d’Etat au service du clan Bongo. Les armes de la République ont illégitimement été retournées contre les citoyens que nous sommes, entraînant ainsi la mort de plusieurs de nos compatriotes. Le débat honteux sur le chiffre officiel de morts ne remplacera jamais les dizaines de familles aujourd’hui endeuillées. Certains n’auront même pas la possibilité de faire le deuil dans la mesure où des corps sont dissimulés. C’est au nom de leur mémoire ou simplement au nom de notre humanité que nous devons tous consentir à une enquête pénale internationale pour qu’une lumière soit faite sur ces tueries.
Que penses-tu de ces violences ?
La violence est l’arme des faibles. Lorsqu’un pouvoir affaiblit la force du droit pour instaurer le droit de la force, il invite la violence dans l’espace où doit s’exercer la démocratie. Les gabonais survivent depuis cinquante ans sous le joug d’une famille, avec la misère en lot de consolation. Le peuple en a marre et je ne pense pas qu’il puisse supporter un mandat de plus d’autant qu’il s’est mobilisé pour exprimer dans la paix son souhait de passer à autre chose. En discutant avec une de mes militantes, elle me disait qu’elle n’a pas peur de mourir dans les manifestations parce qu’elle a peur de vivre un autre règne de Bongo. Combien de morts devons-nous enregistrer pour que ce système comprenne que le peuple n’en peut plus ? Combien de scènes d’horreurs devons-nous observer pour que le monde comprenne que le peuple gabonais est en danger à ciel ouvert?
Quelle est ta vision du Gabon ? Comment imagines-tu ton pays dans dix ou vingt ans ?
Il est vrai que dans la tourmente que traverse mon pays, le désespoir s’invite chez beaucoup et je peux le comprendre. La peur de l’avenir hante le quotidien des citoyens. Mon engagement politique m’a permis de constater l’impatience du peuple à retrouver l’espoir et la fierté sans quoi le lien de confiance nécessaire pour le redressement du pays n’est possible. Ma vision est de voir le Gabon emprunter les chemins de la réussite, devenir une terre d’emploi, un espace de promotion sociale. Répondre aux attentes de nos concitoyens des villes et villages si cruellement touchés par la démission de l’Etat. En un mot, ma vision du Gabon est un Gabon actif.
Comment voudrais-tu voir l’Afrique évoluer au fil de la génération à venir ? Quels sont selon-toi les principaux défis pour le continent africain et ses peuples ?
Les ambitions que je nourris pour mon pays, je les espère pour l’ensemble du continent et j’ai bien conscience que les situations sont bien différentes même si les aspirations sont les mêmes. Au fond, les jeunes, qu’ils soient en Afrique ou ailleurs, aspirent au mieux-être, c’est plutôt humain.
Que penses-tu sur les relations entre l’Europe et l’Afrique ?
Une relation de respect mutuel, ni pitié ni mépris. Rendez-vous compte que les multinationales pèsent en partie sur le devenir des nations africaines. Je souhaite désormais qu’en Europe on comprenne dans toutes les sphères que le gouvernement pour le peuple par le peuple n’est pas négociable pour les africains, c’est une question de dignité humaine.
Nous arrivons à la fin de l’interview. Veux-tu encore dire quelque chose?
Je veux vous remercier, chers amis, pour l’intérêt que vous accordez à notre pays en me donnant la parole. C’est un acte de solidarité auquel je suis sensible. J’espère que nous nous reverrons assez vite pour discuter de l’évolution du projet que j’ai soutenu et qui a été plébiscité par le peuple gabonais qui a souhaité vivre à l’abri du besoin et de la peur.