Comment prévoir, planifier, réglementer sa vie ? Source d’infinis emmerdements, le quotidien nous joue parfois de sales tours. Même si les injonctions de cette salope de société nous mange toute notre volonté, il s’agit aujourd’hui d’être autonome, acteur de sa propre vie, ou encore, expression exécrable, « proactif ».
On se doit dès lors, si l’on souhaite se libérer définitivement du regard insupportable des « gens actifs » sur nous – misérables traîne-savates -, d’identifier les innombrables pièges dont notre journée est truffée. Ceci afin de se couler bêtement, nous, liquide visqueux d’adolescents attardés, dans le moule à cake austère d’un mode de vie « équilibré ». Mais trêve de digressions, mettons nous au travail.
Mais lèèève-toi detchu !
Premièrement, levez-vous de bonne heure. « Mais lèèève-toi detchu ! Tu peux pas être fatigué, t’as rien branlé depuis deux mois (votre mère, fin août, vous rappelant effectivement que vous êtes un détritus d’humanité). Et vous de lui répondre : « Mais maman ! Ta gueule ! Je joue à la Play si je veux d’abord ! » Mais même si vous lui avez effectivement répondu en ces termes exquis – et c’est, je vous l’accorde, un signe de courage exemplaire ! -, la petite voix qui fait chier va se réveiller dans votre caboche, faire se tordre de stupeur votre visage bouffi par un quotidien délétère. Vous n’aspiriez qu’à la paix, et non, cette connasse (la petite voix, pas votre mère) recommence à vous susurrer des mots doux-amers tels que « Trouve-toi un job, trou d’cul ! Sors de ton putain de lit ! Mais faiiiis quelque chose, bon dieu ! Tu veux finir comme ton oncle, la tête grillée par la gnôle, sans amis, sans famille, avec un nez rouge aux pores dilatés par une vie de merde ? Non ! Ré-a-gis petite daube ingrate ! Fais au moins ta lessive ! Range ta chambre, lave-là ! Elle est tellement sale que y a des genres de petites blattes, sorte de génération spontanée, qui pointent le bout de leur laideur de temps en temps.» Et au fond, vous savez qu’elle a raison, la ptite voix. Si vous vouliez être un rebelle, c’était pas la solution. Même pour ça faut bosser. Il faut s’or-ga-ni-ser !
Le plan
Deuxièmement, faites un plan. Faites un plan de chaque minute de chaque heure de chaque jour de chaque semaine de chaque mois de chaque année. Au moins deux ans à l’avance. Comme ça votre vie est pré-pro-gra-mmée ! Plus de soucis ! MAIS NON ! CA MARCHE PAS ! Oh surprise absolue ! Le plan, vous pouvez vous l’enrouler très serré ! Et vous le foutre !
Les limites
Troisièmement, ayez un mode de vie sain. Fixez-vous des limites, en alimentation comme en tout ! Essayez de vous tenir à trois repas par jour, c’est le plus important. Si vous êtes du genre « je bouffe pas le matin, sinon je gerbe », de un, arrêtez de gémir, c’est pathétique, et de deux, et ben mangez le soir, vers 1 à 2 heures du matin ! Vous serez pas couchés de toute façon. Pain-from-viande séchée et c’est parti ! Après quelques jours de ce régime, vous verrez, votre peau aura la fraîcheur d’un bouton de rose. Pensez également à ne pas négliger le gras, élément essentiel de votre constitution ! Si vous négligez votre gras, il vous en voudra et s’en ira sans demander son reste, faites attention ! Pour l’alcool et la drogue aussi, il s’agit de se faire gestionnaire de sa consommation : si vous sentez que vous pourrez pas supporter un douzième joint, bon – reconsidérez, buvez un coup de blanc, vous verrez après – et si vous vous sentez toujours pas chaud, ne tirez que deux ou trois lattes ! Ca n’engage à rien. En somme, ayez le sens de la mesure.
Le sport
Quatrièmement, faites du sport. Beaaauucoup de sport, comme ça vous serez trèèèès trèèès beau cet été… Mais non ! Pas du tout ! Vous êtes laid comme un pou, vous avez des problèmes bucco-dentaires de toutes sortes et c’est pas un entraînement de fitness par semaine qui sera la solution pour faire fondre votre gigantesque derche ! Même si vous étiez fin et musclé, vous avez une sale gueule : alors autant arrêter tout de suite. Et pis la vache ce que ça fait mal, le sport ! Arrêtez de souffrir et de vous tourmenter, et prenez des cours de charisme, ça remplacera avantageusement votre physique désavantageux.
Le job
Cinquièmement, trouvez-vous un job. C’est merveilleux un job ! Ca vous libère, ça vous entraîne allégrement sur le chemin de votre indépendance ! Qui n’a jamais rêvé d’exercer en toute liberté un job dans une déchetterie, par exemple ? Tout le monde ! Tout le monde a envie de puer la mort pendant un mois ! Et de répéter inlassablement, avec une infinie patience « Noooon madame, vous ne pouvez pas déposer cet ancien réfrigérateur soviétique dans cette tout-toute petite benne ! Ca ne passera pas !» Et effectivement, travailler comme un con, pour des noisettes, ça passe pas. Alors faites-vous une raison : renoncez définitivement au salariat. Lancez-vous, faites de la spéculation sur les denrées alimentaires ! Vous serez un bel enculé, mais vous pourrez arrêter ces études qui vous font trop réfléchir pour être heureux. Et vous ferez partie des winners ! Vous voulez être un loser ? Non ! Alors arrêtez l’uni.
Le plaisir
Sixièmement, savoir se faire plaisir. Mais oui ! Par exemple, octroyez-vous une après-midi détente au spa en compagnie de votre ravissant-e partenaire. Ce moment de partage vous permettra de recharger vos batteries, et de gnagnagnagna pas du tout ! C’est pourri ! Vous n’avez pas de partenaire de toute façon, ou alors vous en avez honte, tellement il est moche et con ! En plus il a une hygiène intime déplorable, c’est dire. Donc restez chez vous, car c’est quand même bien là qu’on se sent le mieux.
L’amitié
Septièmement, le plus important : cultivez vos amitiés. « Amis pour la vie ! Rions ensemble, ami de toujours ! Je serai toujours là pour t’épauler dans les moments difficiles, tu le sais bien… » Mon cul ! Toujours là pour se tirer vers le bas, oui ! Machin, c’est toujours les premiers pour squatter, gueuler et bouffer comme des porcs, ne pas se laver pendant des jours sous prétexte que c’est votre colocation, pas faire la vaisselle, et partir à 8h du mat après une grosse noce en laissant une belle crêpe sur le matelas que vous lui aviez prêté. Mieux vaut éviter les amis ! Faites de vous-même votre unique interlocuteur ! Vous y gagnerez, puisque vous valez bien mieux que les autres ! Pour ce qui est des soirées, vous pourrez très bien vous déchirer la gueule en solo. Embrassez l’individualisme, bon sang ! C’est tout ce que le marché demande de vous.
Huitièmement, et pour terminer : riez bon dieu ! Riez de tout, riez des moches, des beaux, des cons, des vieux, des mecs, des meufs, de Dieu, du Diable, des beaufs et des hipsters ! De la vie, de la mort ! Riez sous cape, riez jaune, riez franchement, riez avec complicité, riez sarcastiquement, moquez-vous des gens qui n’aiment pas vous voir rire ! Riez de la vie qui fait chier autant que de la vie qui fait plaisir. Riez longuement, riez tout court !