La situation économique du Venezuela s’emballe. Près de 2 millions de Vénézuelien∙ne∙s ont fui leur pays depuis 2015. Comment de telles circonstances ont été rendues possible ? Nous sommes partis à la rencontre du Professeur Sergio Rossi, pour tenter de répondre à ces questions

Le territoire vénézuélien est riche en pétrole. En effet, on estime ses réserves à plus du tiers des réserves planétaires. Le Venezuela a donc pu baser son économie autour de l’or noir qui constituait jusqu’à 94% de ses exportations. Aujourd’hui, le prix du baril de pétrole se porte très bien, à l’inverse de la situation économique du Venezuela. Malgré la demande mondiale, ce pays, trop enfoncé dans un cercle vicieux inflationniste, n’arrive plus à sortir la tête de l’eau.

Sergio Rossi, professeur de macroéconomie à l’Université de Fribourg, nous aide à mieux comprendre cette situation économique compliquée ainsi que les erreurs du gouvernement vénézuélien.

Sergio Rossi, professeur à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et ‘économie monétaire et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institue (CA)

Quelle est la faiblesse de la stratégie économique du Venezuela ?

Le Venezuela a concentré la majorité de ses recettes sur le revenu du pétrole. Une telle stratégie économique comporte deux dangers. Premièrement, la sécurité financière du pays dépend de la stabilité de l’économie mondiale. Deuxièmement, la croissance du pays provient uniquement de l’exportation, et non de la consommation nationale. De ce fait, lorsque la croissance mondiale diminue, celle du pays ne suffit pas à faire fonctionner l’économie nationale. De plus, cette spécialisation dans l’exportation est d’autant plus dangereuse quand elle est basée sur un bien tel que le pétrole. Bien qui est offert par d’autres pays dont les coûts de production sont plus faibles.

Quelle est l’origine de l’inflation vénézuélienne ?

La hausse des prix au Venezuela trouve son origine dans la crise financière qui a éclaté en 2008. Le prix du pétrole, après avoir fortement augmenté, s’effondre brutalement. Les recettes financières du Venezuela, liées à l’offre du pays, diminuent grandement mais la demande reste la même. Cette demande est majoritairement comblée par des biens manufacturés provenant à 72% de l’importation. Mais le revenu du pays ne permet plus de bénéficier de suffisamment de capitaux pour financer ses importations. Ces biens se sont donc rapidement raréfiés sur le territoire vénézuélien. L’offre chute, la demande reste la même et les prix s’envolent.
De plus, lorsqu’un pays importe plus qu’il n’exporte, sa monnaie se déprécie. Alors, les investisseuses et investisseurs financiers sortent leurs capitaux du pays afin de ne pas perdre leur pouvoir d’achat. Mais, par la même occasion, leur action prive l’Etat vénézuélien de capitaux.
Face à ces circonstances, le gouvernement réagit : il limite les importations pour ne plus avoir à payer les pays créanciers et ainsi tenter de trouver un équilibre dans la balance commerciale. Malheureusement, la présidence a négligé que la majorité des biens vitaux sont importés. Et que, de ce fait, la demande ne pouvait pas diminuer.

Est-ce que l’on peut dire que le Venezuela contredit la théorie des avantages comparatifs de Ricardo ?

Ricardo propose un modèle dans lequel chaque pays a un avantage à se spécialiser dans la production d’un bien particulier. Cette spécialisation permettrait au pays de produire ce bien à des coûts plus bas et ainsi d’être attractif dans les exportations de ce bien. Les autres pays bénéficieraient de cette spécialisation en pouvant importer le bien moins cher que cela leur coûterait.
Le Venezuela a appliqué cette stratégie et s’est spécialisé dans la production et l’exportation d’un seul bien : le pétrole. Le problème est que ce bien peut être livré par d’autres pays dont les coûts de production sont plus faibles qu’au Venezuela. Cela leur permet d’exporter du pétrole à des prix moindres et ils sont donc plus attractifs.
De manière générale, la théorie de Ricardo ne fonctionne pas dans une économie globale, qui offre un marché très concurrentiel. De plus un pays qui se spécialise dans un seul type de produit est dépendant de l’économie mondiale. Il prend toujours le risque que le prix de ce produit chute au niveau mondial ce qui provoquerait bien des problèmes à son économie nationale.

Quels sont les effets d’une politique d’austérité ?

Alors que l’économie s’enlise, le pouvoir politique en place instaure une politique d’austérité. Il diminue les dépenses publiques, coupe dans les salaires de ses fonctionnaires et limite ses investissements. Ces mesures ajoutent un frein supplémentaire à la croissance économique. Conséquence : le pays ne dispose d’aucun facteur pour faire redémarrer son économie. La population, ayant moins de revenu, reste démunie face aux prix qui augmentent. Le pouvoir d’achat des consommateur∙ice∙s recule, les importations se font de plus en plus rares, l’offre ne peut plus satisfaire la demande et les prix continuent d’augmenter : le pays se retrouve dans une situation d’hyperinflation.

Que penser de la stratégie du Gouvernement d’enlever des zéros au Bolivar ?

Enlever des zéros au bolivar est juste un maquillage comptable. On change d’échelle sans faire changer la situation en profondeur. Cette action a pour but d’envoyer un signal sécuritaire pour encourager la consommation des ménages, voire l’investissement des firmes. Mais ce qui intéresse les consommateur∙ice∙s n’est pas de savoir quel est le nombre de bolivars qu’ils et elles devront dépenser pour acheter des produits, mais leur pouvoir d’achat. Et, pour les entreprises, ce qui importe n’est pas l’échelle des valeurs, c’est la marge bénéficiaire envisageable.
Le problème est que le pouvoir d’achat du consommateur∙ice∙ vient de son salaire et qu’actuellement la population vénézuélienne peine à gagner un salaire minimum. De ce fait, leur pouvoir d’achat reste extrêmement bas et la majorité des ménages peine à boucler les fins de mois peu importe le nombre de zéros qui s’affichent sur les prix des biens de première nécessité.

Est-ce que l’initiative d’assurer les économies des retraités avec de l’or est une bonne stratégie ?

Oui, car lorsque l’on traverse une crise économique majeure, l’or devient une valeur refuge. De ce fait, quand l’économie va mal, les gens souhaiteront en posséder et l’augmentation de la demande d’or fera augmenter son prix. Mais l’or est destiné uniquement à l’épargne, non à la consommation. Le jour où les personnes âgées décideront de financer, avec leurs lingots d’or, leurs dépenses de consommation, leur pouvoir d’achat se sera amoindri. En effet, à ce moment-là, ils dépenseront cette valeur refuge en échange de biens soumis à l’inflation. Si l’avenir est morose, les réserves d’or distribuées aux retraité∙e∙s pour assurer leur retraite ne seront utilisées que pour acheter des biens de première nécessité, comme des soins personnels pour les personnes âgées.
De plus, le stock d’or est une grandeur finie et peut être entièrement consommé. En offrant de l’or aux retraité∙e∙s, on prolonge la période durant laquelle leur pouvoir d’achat restera stable. Mais qu’est-ce que l’on fait une fois que les lingots d’or sont intégralement dépensés ?

Le Venezuela a mis en place une crypto-monnaie, le « pétro », afin d’attirer de nouveaux investisseur∙se∙s : que penser de cette initiative ?

Cette crypto-monnaie est juste une étiquette qui est superposée au prix de la monnaie nationale. On ne connait rien de ce qui se passe derrière cette monnaie : qui s’en occupe, sur quels processus de minage elle se base. Le flou qui entoure cette monnaie ne rétablit pas la confiance internationale. Au contraire, cette initiative montre le désespoir du gouvernement vénézuélien : elle indique qu’il n’y a pas de solutions concrètes en perspective et incite à désinvestir dans le pays.
Afin d’augmenter la confiance internationale il faudrait associer cette crypto-monnaie à une production nouvelle. Mais, paradoxalement, pour qu’il y ait des productions nouvelles, il faut que les firmes aient envie d’investir et donc qu’elles aient des perspectives de vente.
Avec la crypto-monnaie actuelle, si la production ne suit pas, on ne peut rien faire. En effet, la monnaie ne fait que définir en termes numériques la production. Mais pour qu’il y ait une production, il faut que les entreprises s’attendent à écouler leurs produits et donc que les ménages aient un certain pouvoir d’achat. C’est une question de répartition des revenus, pas une question monétaire.
On peut changer la dénomination du bolivar, on peut lui associer une crypto-monnaie. Mais le but recherché est surtout d’augmenter la confiance internationale sur des bases qui sont très fragiles.
Est-ce que l’on peut considérer que les Etats-Unis ont eu une influence sur la crise au Venezuela ?
Les Etats-Unis ont eu un impact certain. Lorsque la crise financière a éclaté en 2007, la banque centrale des Etats-Unis a grandement baissé les taux d’intérêt sur le dollar américain. Suite à cela, les investisseur∙euse∙s financier∙ère∙s ont placé leurs capitaux ailleurs, la demande de dollars a baissé. Ce qui en fait déprécier le taux de change. Cela a eu pour conséquence de faire chuter le prix du pétrole, libellé en dollars dans le monde entier. Cela n’a pas favorisé en particulier les exportations vénézuéliennes de pétrole.
La dépréciation du dollar va, au contraire, défavoriser le Venezuela qui avait accumulé de grandes réserves en dollars suite aux exportations de pétrole. La dépréciation du dollar diminue les réserves de devises vénézuéliennes. De ce fait, les Vénézuélien∙ne∙s ont une moindre capacité d’achat à l’étranger. Mais les besoins de la population restent les mêmes et une grande partie d’entre eux est satisfaite par les importations. Les importations diminuent donc plus faiblement que les recettes liées au commerce extérieur. Cela provoque une dépréciation du bolivar. Les investisseur∙se∙s financier∙ère∙s sortent leurs capitaux du pays. La dépréciation du dollar a donc entraîné la dépréciation du bolivar.
On pourrait penser que la baisse du prix du pétrole ferait augmenter sa demande et que, de ce fait, les recettes liées à ce bien ne varieraient pas. Mais, suite à la crise économique qui fait baisser le pouvoir d’achat des individus et au prix du pétrole qui était précédemment très haut, la demande de pétrole reste faible ce qui ne permet pas au Venezuela d’augmenter le volume d’exportation de ce bien.

En quoi l’appartenance du Venezuela à l’OPEP influence sa situation ?

L’OPEP a essayé d’établir un prix plancher du pétrole, entendez un prix de vente minimum. Mais certains pays, dont l’Irak, n’ont pas respecté ce prix plancher et ont vendu du pétrole à des prix inférieurs. Actuellement, le problème du Venezuela, n’est pas le prix de vente du baril de pétrole. Aujourd’hui, le prix du pétrole est plus élevé que lors de la crise de 2008, soit près de 70 dollars le baril. Mais la situation vénézuélienne est trop dramatique pour être compensée par le prix du pétrole. Quelque soit son prix de vente, son exportation ne permettra pas au Venezuela de récupérer suffisamment de dollars pour éponger ses dettes et importer les biens et services dont la population nécessite. De ce fait, son appartenance à l’OPEP n’influence actuellement pas la crise vénézuélienne, car cette dernière est devenue indépendante du prix du pétrole.

Comment le Venezuela pourrait-il sortir de cette situation d’inflation ?

La solution est délicate en termes politiques. Elle consisterait à augmenter les dépenses publiques du pays. Le principal problème est de trouver les fonds pour financer ces dépenses. Ceux-ci peuvent provenir de deux sources. La première serait les impôts des citoyen∙ne∙s. Mais il est difficile de récolter des impôts là où la population est tellement appauvrie qu’elle n’a plus rien. La seconde serait l’endettement au niveau international. Or, la situation économique du Venezuela est si catastrophique qu’aucun∙e investisseur∙se ne prendrait le risque d’y investir. De plus, le gouvernement vénézuélien a accumulé de grandes dettes extérieures, impossibles à rembourser. La seule manière de s’en défaire serait que le FMI intervienne en lui offrant une aide financière en contrepartie d’une politique d’austérité budgétaire. Mais cette solution est fortement improbable car l’économie globale est en difficulté : il y a d’autres pays à côté du Venezuela qui souffrent sur le plan économique.
Il faut donc changer le système politique. Que la politique monétaire et la politique budgétaire aillent de pair pour favoriser le développement et la croissance économique vénézuélienne. Par développement il faut entendre l’aide aux personnes les plus démunies, l’augmentation de l’accès à l’éducation, l’augmentation de l’espérance de vie grâce à des mesures de santé publique. Mais il faut d’abord faire table rase de la situation actuelle et cela nécessiterait au moins une décennie avant d’observer des changements. Cela implique que les acteurs sur les marchés financiers aient suffisamment de patience pour attendre d’être remboursés.
Changer de régime politique permettrait de regagner la confiance au niveau international et de faire entrer de nouveaux capitaux dans le pays. Mais le régime de croissance économique doit être aussi bien basé sur l’exportation que sur la consommation domestique afin de favoriser l’investissement des firmes à l’intérieur du pays. L’économie domestique ne doit pas être négligée comme c’est souvent le cas avec une politique d’austérité.
Avec ce changement politique l’avenir se présenterait mieux mais le problème est ce qui existe et qui représente un fardeau hérité du passé : un taux d’inflation très élevé, des ménages qui ont des salaires trop bas pour arriver à la fin du mois, une dette publique énorme par rapport au PIB… Le changement politique ne suffirait pas à empêcher la peur à l’intérieur du pays mais il permettrait de donner confiance à l’étranger. Actuellement, le Venezuela est considéré comme un pays à risque et les créanciers internationaux exigent des intérêts très élevés rendant la dette internationale encore plus lourde à supporter. Regagner la confiance internationale est donc essentiel afin de se financer à l’étranger avec de meilleures conditions. Mais actuellement la croissance économique mondiale ralentit, les tensions entre les USA et la Chine amènent au protectionnisme, bien des pays ont des problèmes à augmenter le PIB et cela les retient d’investir dans d’autres pays.
Relancer l’économie vénézuélienne est donc un procédé long, complexe et périlleux. La solution la plus fiable serait de changer le régime politique afin d’augmenter les dépenses publiques de manière productive –soit en développant le réseau industriel et les services afin de regagner la confiance internationale. Cela nécessite des projets, des moyens de financement et surtout du temps pour voir ces projets se réaliser.

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