Une étudiante a souhaité réagir à plusieurs articles de notre dernier numéro, « La sexualité, un tabou jusqu’au bout ? ».

 Tribune : « Pourquoi toujours plus ? »

Je suis tombée sous le charme de ton écriture joyeuse, engagée, en pleine de questionnement, et j‘ai eu envie de te répondre. Je pense que tu es sur la bonne. C‘est en restant curieux et alerte, en continuant de se poser les bonnes questions qu‘on évolue profondément et qu‘on peut faire évoluer son environnement. Pour le reste, je n‘ai qu‘une réponse : le temps, la vie, la passion, l‘échange, l‘espoir.

J’ai été, comme toi, une acheteuse compulsive, voire très compulsive ! J‘ai fréquenté des milieux où l‘apparence est toujours très mise en avant : mode, beauté, art. De plus, je suis une entasseuse de première, j’ai beaucoup de peine à jeter. Je veux tout garder, on ne sait jamais !

Mais (oui il y a un mais !) à ce jour, je pense avoir réussi à me débarrasser d’une grande partie de mes pulsions et à pouvoir gérer le reste. Car oui, des pulsions il y en a toujours, et oui c‘est possible de ne pas leur donner la priorité. Le secret : être en accord avec soi-même. Faire les choses parce qu‘on le ressent au fond de soi. Pas parce qu’on y croit ou qu‘on le veut, ça c‘est le seulement le début. Dans mon évolution, je pourrais définir trois passages que voici :

Une première étape fut de devenir indépendante financièrement. Gérer son propre argent, et d‘une manière complètement différente, remet beaucoup en question la nécessité de certains d’achats. Des fois, je craquais, bien sûr (!) mais à fréquence plus espacée.

La deuxième étape fut la remise en question de mes choix de vie, que l‘on peut résumer par grosse crise existentielle, avec les questions sur le sens de la vie et tout le toutin. Pile au moment où je travaillais dans la vente pour une très grande marque de cosmétiques (coïncidence ?). Vivre la société de consommation au quotidien aide à nous en dégoûter.

La troisième étape fut un long voyage de plusieurs mois, avec mon sac à dos 33L qui s‘est graduellement allégé au fil du temps. Quand on vit avec sa maison sur le dos, et surtout qu’on doit la porter (!), on se pose vraiment la question de l’utilité. On apprend aussi à être soi et à plaire différemment (bien obligée avec deux t-shirts et pas de rasoir). Et on apprécie d‘autres valeurs.

Ça c‘était mon chemin. Le tien sera probablement très différent, mais je ne me fais pas de soucis pour toi. Tu sembles forte, déterminée et capable d‘agir. C‘est un processus qui prend du temps. Je crois qu‘il n‘y a pas de raccourci, pas de solution miracle. L’apprentissage de soi est un très beau voyage qui vaut la peine d’être apprécié.

Et puis qu‘on se le dise, bien que mes valeurs et mes convictions profondes aient évoluées, je reste fidèle à moi-même : mon dernier achat (autre que nourriture) est une fourre de duvet plutôt chère en flanelle de coton (à essayer avec une bouillotte un soir d‘hiver, cher lecteur/chère lectrice).

Il y a une part de compulsivité, mais il y a surtout la transformation d‘un achat nécessaire en un achat qui me fait plaisir. Car oui se faire plaisir, ça reste important.

Autant te dire que maintenant, je ne me lève plus le matin !

Dossier

Chère rédaction,

Merci pour votre dernier numéro. Il a suscité beaucoup d‘intérêt et de sentiments contradictoires en moi. Toutes ces réflexions sont toujours très stimulantes.

Je dois tout de même vous faire part d‘une très grande déception que j‘ai eu en lisant cette édition. J‘ai été très attirée par sa couverture rose et son beau phallus fièrement dressé. J’ai été emballé par ses titres si prometteurs ! Allions-nous enfin aborder cette discussion sans gêne et sans tabou ? Hourra !

Je suis bien d‘accord avec l‘introduction d‘Aurel Dewarrat, on ne parle pas assez de sexualité. Ou quand on en parle, on parle de violence (harcèlement, agression) et de prévention. Jamais de la beauté du sexe, jamais la découverte de soi, de la découverte de l’autre, de la confiance et de la construction. La sexualité est un chemin magnifique. Mais nous n’en parlons pas, et c’est un chemin que nous devons parcourir seuls dans des carcans sociaux oppressants.

Alors oui, je me suis réjouie en voyant le thème de cette édition. Oui j‘ai sauté de joie intérieurement en me disant « Ça y est ! Nous y voilà ! ». Et si l’Université ouvre la voie, le reste du monde pourrait bien suivre.

Eh bien je dois vous avouer que la lecture de vos articles (en français, plus l’interview de Michèle Binswanger en français sur le site internet) a été une déception totale. Les sujets sont effleurés, on n‘y apprend que „ce qu‘on savait plus ou moins déjà“. J’ai senti l’envie d’aborder le sujet plus en profondeur, mais finalement une sorte de retenue à y parvenir. Je sens de la retenue et de la gêne chez les deux journalistes en expédition dans „la rue des putes“. Je sens de la retenue dans l’interview du couple non-monogame, comme si on n’osait pas poser les questions qui fâchent, les questions qui font réagir. Je sens de la retenue dans l’interview de Michèle Binswanger, qui aurait certainement bien plus à dire sur ce sujet-là.

Et finalement, vous n‘a pas su dépasser le tabou que vous dénoncez.

Il y a pourtant beaucoup plus à apprendre, à dire et à chercher. Saviez-vous qu‘il se trouve à Fribourg même, une Sexual Bodyworker (formation qu‘on trouve à Zürich au passage) et qui dispense des ateliers et des formations pour renouer avec sa sexualité ou tout simplement l’explorer ?

Saviez-vous qu’il existe des communautés BDSM, libertines, échangistes, etc, qui vivent leur épanouissement sexuel en toute liberté, et qui ne sont pas si difficiles d‘accès, quand on sait où chercher. Bien sûr, tout n‘est pas à prendre, et il faut savoir trier le constructif du nocif voir de l‘inutile. Mais si on prend le temps de s‘ouvrir sans gêne, sans peur et sans tabou, il y a bien plus de choses intéressantes à découvrir qu‘on ne le pense. La sexualité est un univers étonnant.

J’aurais aimé que vous ayez cette audace et cette volonté d’aller au-delà de certaines barrières sociales. Vous avez, à mes yeux, fait ce qu’on pouvait attendre d‘une institution publique, ni plus ni moins. Vous aviez la volonté d‘ouvrir la voie à la sexualité, mais vous n‘avez su en parler qu‘à demi-mot.

J’espère cependant que le chemin ne s‘arrête pas là. Et que vous continuerez à vous poser ces questions-là, à secouer un petit peu plus nos tabous trop bien ancrés.

Merci pour votre intérêt et votre passion.

J‘ai quand même beaucoup de plaisir à vous lire.

Avec mes plus belles pensées,

Sophie Leuba