Le 22 mars dernier s’est déroulée à la HEP Fribourg la 5ème édition du « Sustainable University Day ». L’objectif : discuter de la mise en œuvre de la durabilité au sein des hautes écoles à travers l’engagement des étudiant∙e∙s. Et, en effet, cette journée s’est résumée à une simple discussion…
Organisée par la Haute Ecole Pédagogique de Fribourg (HEP) sur mandat de la Conférence universitaire suisse, cette journée a rassemblé plus d’une centaine de participant∙e∙s venu∙e∙s des quatre coins de la Suisse pour partager leurs expériences en matière de durabilité.
La grand-messe de la durabilité
Le « Sustainable University Day » a lieu tous les ans depuis 2014. La première édition se penchait sur la manière dont le développement durable pouvait être intégré dans les études et sur son ancrage dans les universités au niveau stratégique et opérationnel. L’année suivante, l’accent est mis sur « la responsabilité des leaders tentant de lier business ou succès politique avec justice sociale et gestion des ressources naturelles afin d’intégrer le développement durable dans les activités universitaires». Le titre de l’édition 2017, « Agenda 2030 : un devoir pour les hautes écoles!? », fait référence aux objectifs du millénaire de l’ONU. Il se veut donc plus frappant que jamais. Pour autant, un an après, cette journée ne semble pas avoir marqué les esprits…
Au programme de cette 5ème édition : présentations d’initiatives étudiantes telles que Youtrition, projet d’étudiant∙e∙s bâlois∙e∙s autour de la transformation d’urine humaine en engrais, exemples de contenus pédagogiques mis en place par des professeurs neuchâtelois et tessinois, ateliers de réflexion à la mise en œuvre de pratiques durables dans les hautes écoles.
Des interprètes, un modérateur de la RTS, de copieux apéros, une organisation bien ficelée. Mais peu de personnalités fribourgeoises parmi les organisateur∙rice∙s et les invité∙e∙s…
Inertie quasi totale en matière de durabilité dans nos universités : à qui la responsabilité ?
Si les nombreux∙ses acteur∙ices∙s universitaires sont tous et toutes responsables de la durabilité dans leur espace de travail ou d’étude, les inégalités règnent encore du point de vue des ressources pour la mettre en œuvre.
En 2018, les étudiant∙e∙s suisses ont pris les choses en main: plus de 100 bénévoles dans 12 villes ont mis sur pied la Swiss Sustainability Week sur l’exemple de la semaine de la durabilité de l’Université de Zurich. Cet événement remarquable, qui est pourtant encore d’actualité dans plusieurs universités, n’a pas été évoqué lors de cette journée fribourgeoise…
Financée à moitié par le programme « U-Change » et à moitié par les hautes écoles participantes (des universités pour la plupart), la Swiss Sustainability Week reflète la volonté des étudiant∙e∙s de rendre leurs institutions plus durables, mais aussi de sensibiliser celles-ci face à l’urgence du sujet. Cependant, ces initiatives devraient compléter et non remplacer l’action à un niveau décisionnel supérieur, à savoir les rectorats. Pourtant, on semble vouloir passablement faire reposer l’initiative de ces actions sur les épaules des étudiant∙e∙s, comme le suggère l’intitulé de la conférence phare de la matinée : « Potentiel des hautes écoles pour booster les initiatives étudiantes ».
Néanmoins, la Conférence des Universitaires Suisses (CUS) a mis au point une planification stratégique 2017-2020 des universités suisses en investissant quatre millions de francs pour encourager non seulement les initiatives étudiantes, mais aussi le développement durable à travers l’enseignement et la recherche. Si cette planification s’est effectivement concrétisée reste difficile à mesurer…
De l’ONU à l’Uni
Les solutions devraient-elles être actionnées, pour être effectives, par le levier puissant du supranational ? Les Objectifs de Développement Durable (ODDs), adoptés par la communauté internationale à New York en 2015, donnent un cadre et une direction plus que légitimes pour mettre en œuvre la durabilité. Ces objectifs, bien que reconnus par la Confédération, restent toutefois trop vagues et non contraignants.
L’absence de relai au niveau institutionnel, au sein des universités en l’occurrence, ne permet pas de contrôler l’avancement de ces objectifs. Ce qu’il manque : l’introduction de bilans précis et d’objectifs à atteindre distincts suivant les universités, encadrés par une commission de durabilité, qui permettrait un suivi, et donc un gain de temps et d’énergie.
Une demande d’institutionnalisation se fait entendre : certain∙e∙s étudiant∙e∙s exigent une reconnaissance en crédits ECTS de leurs engagements en faveur de la durabilité, et des postes pour la durabilité se créent, à l’image de l’Université de Bâle et de la HEP Fribourg.
Pascale Marro, rectrice de cette-dernière, explique que la HEP doit pourtant « se battre » face au canton pour faire valoir la durabilité, et qu’« il y a du travail à faire dans la gouvernance des hautes écoles ». Selon elle, les institutions doivent porter ce message, or ce n’est pour l’instant pas gagné du fait de la division du corps professoral et estudiantin en différentes facultés.
Ce sur quoi rebondit un intervenant : « Die Welt hat Probleme, die Uni hat Fakultäten ». Est-ce vraiment si compliqué de rassembler ces facultés autour de la défense de la durabilité à l’université ? Les formations interdisciplinaires existent, mais restent théoriques. Le changement de pratiques est pourtant à portée de main, et le sens de la collaboration interfacultaire est justement de prioriser cette thématique, chacun à son échelle et grâce à sa propre expertise. Les institutions d’enseignement supérieur ne se targuent-elles pas de donner le ton à la société, d’être exemplaire ?!
Alors, qu’est-ce-qu’on attend ?
« Die Strukturen sind da. Es geht nur um Umsetzung » (ndlr. Les structures existent. Il ne s’agit que de la mise en œuvre) conclut un intervenant. La lenteur du processus serait-elle à imputer au rejet constant des responsabilités les uns sur les autres… ?
Si les rectorats ont tendance à attendre que l’exemple vienne de la politique, la politique, elle, compte sur les citoyens. Or invoquer les difficultés de la démocratie n’est pas une raison pour ne pas agir.
Par ailleurs, le développement durable est partout présenté comme un secteur économique en devenir, un marché prometteur, une aubaine pour les étudiant∙e∙s… Mais ce ne sont pas essentiellement des raisons économiques qui poussent ces dernier∙ère∙s à s’intéresser au sujet. Au contraire, ils et elles considèrent qu’il faut agir d’abord chez soi, à commencer par les institutions dans lesquelles on évolue quotidiennement. Ceci sans oublier de replacer nos pratiques dans un cadre plus large, comme le thématise Joel Bühler, venu présenter l’initiative Plurale Ökonomik Zürich. Ce réseau d’étudiant∙e∙s et de chercheu∙r∙se∙s déplore le manque d’innovations et d’espaces de réflexion dans l’enseignement de l’économie à l’université en général. Il montre que d’autres systèmes économiques apportent des solutions à la crise écologique que le capitalisme a engendrée.
Un horizon dans ce manque de cohérence ?
Des idées ? Il y en a plein. Des projets et des financements ? Aussi.
Mais sans soutien et surtout sans véritable intérêt des hautes écoles, il ne sera pas facile pour les étudiant∙e∙s bénévoles de se mobiliser encore et encore pour montrer que la durabilité n’est pas seulement un domaine « à la mode », mais une véritable urgence.
Au-delà de la nécessaire mise en réseau des différents acteurs, utile à condition que les principaux concerné∙e∙s daignent bien entendu se présenter lors de ce type d’événement, cette cérémonie a plutôt servi à symboliser une volonté de changement.
Espérons que cette volonté se concrétisera dans des mesures fortes. Cette journée aura peut-être fait prendre conscience à tou∙te∙s les participant∙e∙s que si chacun∙e se doit de prendre ses responsabilités à son échelle, tout∙e∙s doivent aussi insister sur le rôle des hautes écoles. Celles-ci jouissent d’une puissance symbolique non négligeable, et leur prestige pourrait vite être contesté si elles ne se montrent pas plus exemplaires…
Parce-que défendre la durabilité en buvant des litres de café (rappelons qu’une tasse consomme 140 litres d’eau) et du jus d’orange importé, dans des gobelets en plastique de surcroît, semble manquer de cohérence…
Crédits photo: © U Change, Td-net
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