Professeure et chercheuse à l’Université de Tel-Aviv, Marie-Lyne Smadja est aussi co-fondatrice du mouvement Women Wage Peace qui veut mettre fin à un conflit qui a trop duré : celui qui oppose le peuple israélien au peuple palestinien. Interview.
Avant de plonger dans les tâches faramineuses qu’accomplissent ces femmes réunies par la même envie de voir leur pays pacifié, je vous propose de revenir sur quelques points centraux du mouvement. Il regroupe des femmes (et pas que) israéliennes, juives, musulmanes et chrétiennes, religieuses ou athées, et de tout bord politique (droite, centre et gauche) autour d’un unique slogan : « Nous choisissons la vie – Nous exigeons un accord politique ! » L’action la plus marquante de Women Wage Peace ? Réunir plus de 20 mille femmes, israéliennes, palestiniennes et d’autres nationalités, pour une marche de 205 kilomètres nommée symboliquement Marche de l’Espoir. Le but du mouvement ? Forcer les dirigeants à se rasseoir autour de la table de négociations afin d’enfin réaliser la volonté d’une majorité silencieuse : mettre fin à ce cercle de violences et pouvoir vivre en paix. Et bien, passons à l’interview.
Commençons par le commencement. Comment et quand est né ce mouvement?
Marie-Lyne Smadja: Il est né suite à l’opération militaire « Bordure Protectrice » de 2014, qui donna suite aux tirs réguliers du Hamas au sud du pays en passant par le kidnapping puis le meurtre de trois jeunes israéliens, pour terminer par la riposte de Tsahal. Cette opération, qui dura 50 jours, disloqua Israël en deux. Avec la droite d’un côté et la gauche de l’autre (nldr. La gauche ou Smol est partisane d’un compris territorial avec le peuple et le gouvernement palestinien et la droite ou Yamin ne croît pas à l’ouverture des frontières tant que des branches armées, tel le Hamas, menacent la société civile*). Face à cette cassure, il nous était essentiel de réunir à nouveau la population autour d’un même but. Ainsi naquit Women Wage Peace, afin de réunir autour d’une même cause – celle de la Paix – l’ensemble des citoyennes israéliennes.
Nos premières activités se sont concentrées au Sud du pays et notamment à Sdérot, ville en bordure de Gaza où les attaques du Hamas furent les plus violentes. Et bien que les manifestations pacifistes ne soient pas rares en Israël, très peu s’aventurent dans de telles zones qui ont pourtant besoin de soutien, car trop risquées. A partir de rien donc, les deux autres co-fondatrices (ndlr. Irit Tamir et Michal Barak) ont réuni d’abord une trentaine de femmes. Au bout de trois mois nous étions 5 mille. Trois ans et demi plus tard, 50 mille femmes soutiennent le mouvement.
La Marche de l’espoir des Israéliennes et Palestiniennes
©Arianne Littman
Un mouvement sans bord politique et purement israélien
Qu’on ne s’y trompe pas, il existe depuis longtemps une multitude de mouvements citoyens, israéliens ou israélo-palestiniens, qui militent pour la paix entre le peuple israélien et le peuple palestinien. Il n’est pas rare non plus d’observer des manifestations pacifistes happer les rues de Tel-Aviv. Mais c’est la première fois qu’un mouvement pour la paix englobent des femmes israéliennes sionistes ou non, de droite, du centre ou de gauche. Et cette capacité de ralliement est due au fait que nous sommes un mouvement israélien qui milite pour l’intérêt de la société civile israélienne, à savoir la paix. En effet, 20% de nos membres actifs sont arabo-israéliens (nldr. 20,8% de la population israélienne est arabe) et les 80% restant sont judéo-israéliens. Nous entretenons toutefois des relations étroites avec des femmes palestiniennes d’autres mouvements, avec qui il est essentiel de discuter et collaborer. Elles œuvrent de leur côté, auprès de leur peuple et non sans difficulté, au processus de paix. Car c’est aussi une particularité de notre mouvement : nous croyons en un processus de paix politique, dont l’élan serait issu de la société civile de chacun des partis. C’est pourquoi il nous tient à cœur d’être un mouvement israélien pour les israélien∙ne∙s, tout comme il nous tient à cœur qu’une solution interne et adaptée au peuple palestinien puissent aussi se déployer.
Pourquoi cette mise à l’honneur des femmes ?
Car elles restent très peu inclues dans les débats sur la politique sécuritaire du pays, qui est, par habitude, laissée aux hommes. Et il était important de les réunir afin qu’elles prennent part à ce sujet aussi épineux soit-il. Notre action est renforcée par la Résolution 1325, ratifiée par Israël en 2005. Cette résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, par l’alinéa 16 et 17, ôte aux femmes ce rôle de spectatrice et confère aux deux sexes une légitimité équivalente en matière de résolution de conflit. De plus, plusieurs études montrent qu’une résolution de conflit a plus de chance d’aboutir, tout comme les accords politiques de durer lorsque des femmes sont impliquées dans leur processus. Il est donc primordial qu’elles y prennent part et nous nous y attelons.
Et qu’en est-il ? Êtes-vous réellement écoutées ou simplement entendues par le gouvernement ?
Au début, en tant que mouvement pacifiste à la croissance exponentielle, nous attisions surtout l’intérêt de la gauche politique. Mais suite au jeûne de 50 jours organisé exactement un an après l’opération « Bordure Protectrice », devant la résidence de Benjamin Netanyahu, nous l’avons rencontré, et aussi certains de ses ministres. Dès lors, une collaboration avec les Membres du Parlement israélien (ndlr. Dont 30% sont des femmes), et nous-même a pu être établie. Et les choses se sont encore accélérées depuis : nous avons créé deux lobbies « Les femmes pour la paix et la sécurité », et « Le parlement des femmes » qui marquent le Parlement par leur présence tous les lundis. Ce qui nous permet de réfléchir et construire des solutions avec ces 120 membres. Il est clair que nous rencontrons des parlementaires contre notre idée d’un accord politique, jugeant cela impossible par manque de partenaires du côté palestinien. Mais les discussions avancent et nous gardons bon espoir.
Marie-Lyne Smadja lors d’un discours public pour Women Wage Peace
©Babylone El-Baze
Comment faites-vous progresser vos idées auprès des peuples israélien et palestinien ?
Tout d’abord il faut savoir que malgré une politique israélienne très à droite ces dernières années, il est estimé qu’au moins 70% des israélien∙ne∙s sont prêt∙e∙s à signer un traité de paix. Les israélien∙ne∙s veulent la paix. Le problème n’est donc pas là, il est sécuritaire. Car nous faisons face à des terroristes et les israélien∙ne∙s redoutent de potentielles attaques en cas d’ouverture des frontières suite à un accord de paix. Avec nos amies palestiniennes nous abordons énormément ce sujet avec la volonté de les inciter à combattre les actes belliqueux, qu’importe leur origine. Nous tentons aussi de les sensibiliser sur l’effet contre-productif de la stratégie de victimisation, nettement affermie par le Hamas, avec comme credo « no blaming no shaming ». Car plus ils renforcent ce sentiment d’être uniquement les victimes de ce conflit, plus ils se verront déresponsabiliser politiquement et économiquement. Vous imaginez bien que les débats n’ont pas été évidents, mais cette idée qui implique un grand changement dans la manière de voir a été acceptée et comprise par les femmes palestiniennes avec qui nous collaborons. Bien que l’usage de cette stratégie de la victimisation reste majoritaire au sein des palestinien∙ne∙s.
Deuxième credo : « on ne regarde pas le passé ». Car nous le savons bien, nous avons et garderons tous des récits différents quant aux origines et causes du conflit. Les deux camps sont à blâmer et pour avancer, il faut que nous prenions la responsabilité de notre présent et de notre avenir sans plus nous focaliser sur le passé.
Le temps de la résolution du conflit approche
Il est vraiment temps d’enterrer la hache de guerre, bien que la situation soit très tendue suite aux récentes manifestations de la « Marche du retour » qui ont entraîné de nouvelles échauffourées à la frontière de Gaza. La solution passera par un accord politique entre les deux pays et certainement par une armée et un service de renseignement efficaces, afin de pouvoir prévenir tout acte terroriste. Nous espérons que le « Deal du siècle » comme le nomme Trump et dont il présentera les détails dans les mois à venir, permettra aussi de faire avancer les démarches en demandant aux deux gouvernements de s’asseoir à une table de négociations. Et à cet instant, nous aurons des concessions à faire. Nous le savons et nous sommes prêt∙e∙s.
Quel regard portez-vous sur la couverture médiatique du conflit en général en Europe ?
C’est triste à dire mais c’est très clair : Israël a perdu la guerre de la propagande. Le gouvernement ne communique pas assez rapidement et, depuis de nombreuses années, les médias peinent à porter un regard critique sur la complexité de la situation. La manipulation de vidéos par les palestinien∙ne∙s par le biais de montage est un phénomène notoire et régulier dans ce conflit. L’affaire Mohammed Al-Durah est un exemple parmi tant d’autres de ces mensonges véhiculés et qui ne font hélas que très rarement sujet d’un démenti ou d’un procès. J’appellerais les étudiant∙e∙s et les médias à rester critique face à l’information qui leur est donnée et à ne pas tomber dans le piège de la victimisation. Vouloir aider un plus faible est humain, mais comprendre le contexte en amont est indispensable au risque de se faire manipuler. Les réseaux sociaux d’ailleurs n’ont pas aidé la résolution du conflit ces dernières années, ils ont plutôt renforcé la haine et fracturer les gens. Les insultes et la diffusion de montages vidéo fallacieux y étant pour beaucoup.
Néanmoins nous ferons tout pour obtenir un accord politique, qui est la prémisse indispensable. Et nous continuerons à poursuivre un seul but, pouvoir vivre en paix et en sécurité.
*Article intéressant sur les derniers basculements politiques en Israël: https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-1-page-51.htm
Pour plus d’informations ou pour rejoindre le mouvement : womenwagepeace.org
Documentaire « Les guerrières de la paix » de Hannah Assouline (sortie le 13 mai 2018) Teaser