L’histoire d’une vie. Mais celle de qui ?

Si je me devais de trouver un fil rouge à mon existence, d’y trouver une constante, un élément de stabilité, un petit ou grand quelque chose qui revient régulièrement… Je ne sais pas ce que je répondrais. Je chercherais longtemps. Et au détour d’une bibliothèque, je prendrais soudainement conscience de l’omniprésence de Derib dans ma courte vie.
La présence du célèbre dessinateur suisse se retrouve tout au long de mon histoire. Et loin de n’être qu’un élément récurrent, elle a aussi eu une action constitutive sur l’adulte que je suis désormais. Car Derib parvient comme peu d’autres à dégager avec finesse et précision les lignes directrices de chaque période de la vie, les émotions-clefs, celles qui font bouger et réfléchir.

Enfance

L’histoire de Derib commence naturellement par l’étape de l’enfance. Celle de l’innocence, de la pureté et des valeurs fortes. Derib fait de Yakari le porte-parole de ces valeurs. Sur la trame d’une amitié incommensurable, chaque aventure que le petit Indien traverse l’amène à réfléchir par lui-même aux choses de la vie du haut de son jeune âge, pour finalement revenir chez lui enrichi d’une sagesse nouvelle. N’oublions pas la magie, cette composante indispensable à toute enfance réussie. Car la magie, tant dans Yakari que dans la vie réelle, fait office de garde-fou. Elle se pose en garante de l’innocence conservée. Tant que Grand-Aigle et Nanabozzo – les animaux-totems de Yakari et Arc-En-Ciel – veilleront sur leur pupille, rien de mal ne pourra arriver.
Enfin, c’est la trame de quelque chose de beaucoup plus grand qui se dessine dans Yakari. C’est le moment où Derib commence à exprimer son affection pour les grands espaces américains et, surtout, son immense amour pour les chevaux.

Adolescence

Quittant la gentillesse et les bons sentiments qui font une enfance réussie, Derib nous entraîne vers l’adolescence, ou plus précisément vers ce moment emblématique du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Pour ce faire, il a planté le décor de Red Road dans une réserve indienne de l’Ouest américain. Avec son personnage Amos, Derib se lance dans une quête initiatique qui amènera tant le lecteur que son personnage à grandir. Mais cela ne se fera pas sans difficulté. Cette période tourmentée de la vie réveille la colère, la rage, la soif de liberté et le refus de la fatalité dans un tourbillon d’émotions fortes, submergeant tout sur son passage. Cependant, Derib reste encore une fois fidèle à lui-même et utilise les chevaux comme certains utilisent la musique : pour adoucir les mœurs.

Âge adulte

Puis vient l’âge adulte. Passé le tumulte de l’adolescence et de ses sentiments déroutants, cette période aurait presque l’air calme. Il n’en est pourtant rien. Sur les traces de Buddy Longway, le trappeur blanc marié à une Indienne, on s’élance dans le Far West sauvage et intouché. La nature est magnifique, rayonnante, indomptable. Et surtout, peuplée de chevaux. Il faudra bien cela pour adoucir la dureté des étapes de la vie.
Processus rare dans le milieu du neuvième art, les héros vieillissent au cours de leur histoire, sous le coup des épreuves, des décisions et des difficultés rencontrées. Rien d’extraordinaire cependant : juste la vie. Mais la vie racontée par Derib : celle qui est dure, celle qui fait mal, parfois jusqu’à en pleurer, mais surtout, celle qui est terriblement belle.

 

Hors du temps

Toutes les œuvres de Derib sont marquantes. Mais elles tendent à s’attacher au moment où elles ont été lues. Elles se rattachent à un souvenir, une émotion. Jo n’a pas cet effet-là. La rencontre avec cette BD emblématique et ses personnages a eu sur moi l’effet d’un grand vide totalement désarmant. Lecture et moment présent se mélangent tout en estompant la nuance entre le lu et le vécu. Totalement intemporelle, cette œuvre a été la redécouverte des émotions transmises par toutes ses autres œuvres : rage, impuissance, injustice, beauté de la vie, amour, amitié, mort, … Ce qui fait sa différence, c’est l’absence de filtres : notre époque, notre monde, pas de chevaux, pas de nature sauvage où reposer ses yeux un instant. Juste la réalité. Toujours belle comme Derib sait si bien la peindre, mais terriblement réelle. Jo, c’est moi, c’est toi, c’est nous. Et, à la fin, on pleure quand même.

 

Crédits Photo :

Yakari le premier galop
Yakari et les longues oreilles
Red Road
Buddy Longway
Jo