Cher·ère lecteur·rice, tu as pu découvrir dans notre dernier numéro notre débat sur l’assurance maladie, avec Brigitte Crottaz (PS/VD) et Lorenz Hess (PBD/BE). On revient ici sur l’idée-phare de l’initiative « Pour un Parlement indépendant des caisses maladie », avant de faire le point sur les initiatives en cours.

Incompatibilité vs. Parlement de milice

L’existence d’incompatibilités avec l’exercice d’un mandat électif est un mécanisme juridique relativement commun en droit électoral. L’objectif de ces règles d’exception est de préserver le bon fonctionnement des institutions démocratiques. La plus commune d’entre elles est l’interdiction du cumul des mandats, mais il en existe d’autres. En France, par exemple, l’art. L46 du code électoral interdit à un·e militaire de carrière d’être élu·e député·e, conseiller·ère général·e ou conseiller·ère municipal·e.

Brigitte Crottaz explique : « Le contrôle des assureur·euse·s se fait par l’OFSP (Office fédéral de la santé publique), mais c’est le Parlement qui exerce un contrôle sur l’administration fédérale, dont l’OFSP. Ainsi, les contrôlé·e·s « contrôlent » le·la contrôleur·euse. En 2017, de nombreux parlementaires faisaient partie du Conseil d’administration de différentes assurances maladie ou de leurs faîtières, avec des revenus de 50.000 à 180.000 CHF annuels découlant de cette fonction. » Dès lors, pourquoi ne pas recourir à un mécanisme d’incompatibilité dans le cas des mandataires de compagnies d’assurance-maladie ?

« Une interdiction de ces mandats aurait un impact négatif sur la représentation des intérêts des assuré·e·s », répond Lorenz Hess. En filigrane, c’est l’idée d’un Parlement de milice que le conseiller national bernois évoque ici. Dans la tradition politique suisse, les représentant·e·s du peuple, issu·e·s de la société civile, exercent une profession en dehors de leur mandat électif. Les défenseur·euse·s de ce système y voient deux avantages majeurs : il éviterait la professionnalisation de la politique et les élu·e·s du peuple pourraient alors servir de courroie de transmission aux intérêts des différents groupes sociaux, sociétés d’assurance maladie incluses.

Ce ne serait pourtant pas la première fois qu’une incompatibilité soit introduite dans la législation électorale suisse. En vertu de l’art. 14 de la loi sur l’Assemblée fédérale (LParl), les dirigeant·e·s d’établissements comme la Poste ou les CFF ne peuvent pas siéger en tant que conseiller·ère·s nationaux ou aux États. Aussi, pourquoi le peuple ne pourrait-il pas étendre le domaine de l’incompatibilité aux dirigeant·e·s de sociétés privées chargées d’une mission de service publique aussi cruciale que l’assurance obligatoire des soins ? L’échec de l’initiative laisse cette question en suspens pour quelques années au moins.

Nouvelle initiative pour des caisses publiques cantonales

Si l’initiative « Pour une liberté d’organisation des cantons » a échoué, ses partisan·e·s ne se sont pas avoué·e·s vaincu·e·s pour autant. « Le quota cantonal de signatures a été atteint dans plusieurs cantons romands », souligne Brigitte Crottaz. Ceci a par ailleurs motivé l’initiative du socialiste Stéphane Montangero, député au Grand Conseil vaudois, qui propose de soumettre au Parlement fédéral une révision de la loi sur l’assurance maladie (LAMal), révision destinée à permettre la création de caisses publiques cantonales. Cette mesure, soutenue par le Conseil d’État vaudois, intéresse également les cantons de Neuchâtel et de Genève.

Cette fois-ci, la bataille n’aura pas lieu dans la rue, mais sous la Coupole, du moins dans un premier temps. Or, malgré un léger glissement à gauche lors des dernières élections fédérales, il n’est pas dit que le texte rassemble les suffrages d’un nombre suffisant de parlementaires. Non seulement il faudra s’assurer du soutien des élu·e·s, mais dans l’hypothèse où le texte serait adopté, il n’est pas dit que les compagnies d’assurance maladie ne tentent pas de le contrer par la voie référendaire. Le soutien des électeur·rice·s sera alors crucial.

Une initiative pour plafonner les primes

En début d’année, le Parti socialiste a lancé l’initiative « Pour des primes d’assurance maladie plafonnées à 10% du revenu », directement inspirée du modèle vaudois. Étendu au niveau fédéral, ce système de subventions serait financé aux 2/3 par la Confédération et 1/3 par les cantons. « Ce système compense en partie les inégalités liées à la prime par tête, puisque les subventions sont financées par l’impôt, lequel provient en majorité de la classe aisée », déclare Brigitte Crottaz. C’est là que le bât blesse : les opposant·e·s au projet ne manqueront pas de l’attaquer sur ses conséquences fiscales. Les Suisse·sse·s sont-ils·elles prêt·e·s à payer plus d’impôts pour un système de santé plus égalitaire et plus efficace, comme au Danemark ? Affaire à suivre.

Crédit photo: photo libre de droit

Sources:
Parlement de milice et rémunération, la redoutable équation, Le Temps, 23 octobre 2018 : https://www.letemps.ch/suisse/parlement-milice-remuneration-redoutable-equation.

Une caisse publique pour endiguer les hausses de primes, Le Temps, 23 septembre 2019 : https://www.letemps.ch/suisse/une-caisse-publique-endiguer-hausses-primes.

Le Parti socialiste lance son initiative pour alléger les primes maladie, RTS, 26 février 2019 : https://www.rts.ch/info/suisse/10248510-le-parti-socialiste-lance-son-initiative-pour-alleger-les-primes-maladie.html.