Donner son corps, l’ultime soutien à la médecine

Les études de médecine, la formation continue des médecins ou encore la recherche ont un point commun essentiel : le besoin de véritables modèles anatomiques humains grâce au don du corps. Enquête…

En quoi consiste le don du corps

La demande en corps ne peut être satisfaite que grâce à une forme ultime du don de soi : offrir son corps en toute confiance à l’Université. C’est une décision purement personnelle – la famille ne peut décider seule de donner un corps – qui est nécessairement prise avant la mort. Cela nécessite de remplir un formulaire détaillé sur les possibilités d’usage du corps. La décision peut évidemment être annulée à tout moment: « Certaines conditions doivent être remplies au-delà de l’accord du donneur ou de la donneuse » nous explique le Prof. Luis Filgueira, responsable de l’Anatomie à l’Université de Fribourg : « la personne ne doit pas être décédée d’une maladie contagieuse, ni avoir subi d’opération lourde ou avoir moins de 40 ans. Enfin, le don accepté, les familles voulant récupérer les cendres doivent attendre jusqu’à trois ans. »

En temps normal, le don vise une seule université. Les corps donnés à l’Université de Fribourg restent presque tous sur place, mais il arrive que certains subissent certaines procédures dans d’autres universités avant de revenir à Fribourg.

Illustration: Alison Eugénie Bender

Étudier la médecine grâce à des personnes décédées

Au-delà du don, il y a l’étude au plus près de ces corps qui naturellement émeut. « Les étudiant·e·s suivent un après-midi introductif avant de voir les corps, incluant des cours spéciaux et une séance de deux heures avec des étudiant·e·s plus avancé·e·s ». Et Prof. Filgueira d’ajouter : « j’aime dire aux étudiant·e·s que ces personnes sont leurs premier·ère·s patient·e·s. »

Jeremaias, étudiant en 3ème année de médecine, confirme l’importance de ces travaux pratiques : « C’est vraiment utile, bien que plus difficile que les autres cours, pour avoir une vue d’ensemble du corps humain. Nous sommes par groupe de dix étudiant·e·s par corps – le groupe et le corps nous ayant été assignés restant toujours les mêmes – et nous l’étudions deux fois trois heures par semaine en variant les régions anatomiques. Il est aussi possible d’aller voir les autres groupes pour observer les différences entre femmes et hommes, l’impact de différentes maladies ou l’anatomie de personnes d’âges différents. Grâce à ces gens, j’ai pu par exemple m’exercer à faire des sutures, et rien que cela me rassure pour ma pratique future. Pendant le début de mes études, c’était sans aucun doute le cours le plus intéressant, le plus passionnant et le plus utile. »

Il partage aussi l’impact émotionnel de tels cours : « C’est bien sûr difficile, en particulier au début. Mais ce que je trouve vraiment bien fait c’est que nous sommes confronté·e·s progressivement au corps ; nous commençons toujours par étudier le dos, ne voyant le visage qu’après plusieurs semaines de cours. »

Un accompagnement religieux

Chaque année il y a une cérémonie œcuménique ouverte aux membres des familles et de la Faculté pour remercier les donneur·euse·s. Les cendres n’étant pas systématiquement réclamées, celles-ci sont inhumées dans le mémorial commun de l’Anatomie au cimetière St. Léonard de Fribourg: « La cérémonie est une bonne occasion pour remercier ces personnes » poursuit Jeremaias : « nous ne connaissons pas le nom des individus, mais je ne les oublierai jamais ; par exemple, je n’oublierai jamais la couleur du vernis à ongles de la femme sur laquelle mon groupe a étudié. Ce ne sont pas des mauvais souvenirs, absolument pas, mais pour moi c’est un lien très spécial et fort, difficile à comprendre et à expliquer. »

Le cas particulier des fœtus

Certains corps conservés actuellement au bâtiment d’anatomie sont ceux de fœtus. Ceux-ci ont plus de cinquante ans, car il n’est plus possible de recevoir de tels dons de nos jours. Or à l’époque les fœtus ou mort-nés non baptisés n’avaient pas réellement de statut, et parfois l’enfant était donné par les parents à la médecine ou étaient conservés au domicile familial. Un cas de ces conservations artisanales a été découvert récemment à Fribourg dans une maison devant être rénovée : le fœtus était entreposé avec soin dans un pot de confiture rempli d’alcool. Après investigation de la police, il a été confirmé que le corps datait effectivement de l’époque où de telles pratiques étaient relativement courantes et a pu donc être confié à la médecine.