Il est des films qu’on appelle « nécessaires » ou « engagés ». Souvent ces films souffrent de leur exploitation trop gratuite du drame ou par leur discours trop appuyé. Journey to the Sun (voyage vers le soleil) évite ces travers avec élégance et sincérité.
Le film suit le jeune Mehmet, habitant d’Istanbul fraichement immigré de Tire. Il a un travail simple, dépisteur de fuites d’eau, et file le parfait amour avec une blanchisseuse. Un soir, il sauve le kurde Berzan d’un lynchage. Les deux hommes se lient rapidement d’amitié, se reconnaissant dans leur marginalité. Un hasard cruel mettra fin à l’insouciance de Mehmet, qui sera battu et placé en garde-à-vue après un malentendu. Et ce n’est que le début !
La réalisatrice Yesim Ustaoglu dont c’est le deuxième film, prend soin d’adapter sa mise-en-scène et sa photographie au fil de la transformation sociale et psychologique de Mehmet. Partant d’une approche vériste, proche du documentaire, le film adopte progressivement un style plus cinématographique, se transformant en véritable road-movie dans la dernière partie. La simplicité des plans est trompeuse et la réalisatrice sait judicieusement cadrer les événements et ses personnages, nous mettant au plus près de leurs pensées et de leurs tourments, dans des gros plans très efficaces.
Il n’est pas surprenant que le gouvernement turc n’ait pas apprécié cette œuvre. Outre la langue kurde parlée pour la première fois au cinéma, la Turquie qui nous est dépeinte est sale, précaire, ses citoyens vivant dans un état de terreur constant. Les autorités sont de véritables inquisiteurs, des bourreaux xénophobes. Ces machos violents méritent bien leur surnom « d’oncles », tant la famille traditionnelle semble agir comme un prolongement de cette institution raciste et carcérale. Nul besoin de nous expliquer les raisons d’un tel conflit. Les images parlent d’elles-mêmes et l’absence d’explication géopolitique renforce le propos. La réalisatrice récupère cependant l’imagerie télévisuelle, chargée de puissance évocatrice. Elle reprend ainsi le droit à l’image des mains des reportages TV auxquels nous nous sommes trop rapidement habitués. Les acteurs nous transportent par leur authenticité et leur simplicité de jeu aux antipodes de nos habitudes de consommateurs filmiques.
Si le titre a une explication très littérale, il se veut aussi métaphorique. Nos personnages désirent tous sortir de l’enfer qui leur est injustement imposé. Leur voyage est constamment interrompu par l’âpre persécution des autorités, symbolisée par ces croix rouge sang sur les murs et les fenêtres, désignant les personnes indésirables. Ces marques d’une société divisée sont telles des impasses, comme les constants barrages de police, stoppant net nos héros sur les routes arides d’un pays à la beauté meurtrie.
Fiction
1999
Réalisateur: Yesim Ustaoglu
Turquie
110 minutes
Crédits photo: FIFF