Loin d’être une pratique récente, le biopic est un genre cinématographique des plus anciens, soumis à des codes très précis. Queen Christina, souvent considéré comme un classique en matière de film biographique, parvient pourtant à bousculer les conventions du genre, à plus d’un titre.

Le récit commence au plus fort de la guerre de 30 ans. Elevée comme un garçon, Christine devient reine du royaume de Suède alors qu’elle n’est qu’une enfant, après la mort de son père au combat. Les années passent et la paix est enfin signée, par une Christine désireuse de mettre fin au conflit et de tempérer les appétits belliqueux des militaires et des intrigants qui l’entourent. La reine est un esprit élevé, lisant les plus grands auteurs étrangers. Elle semble également sexuellement indépendante, ne se faisant l’esclave de personne, pas même de ses plus avides courtisans (et courtisanes). Cependant la cour, influencée par le comte Magnus, va troubler la quiétude de la reine. Tout le monde veut la voir épouser un héros de guerre, son cousin, qui lui donnera l’héritier tant attendu par le royaume. L’arrivée d’un ambassadeur espagnol campé par John Gilbert, fin et spirituel, chamboulera le cœur de la reine et les projets de la cour.

Que le spectateur ne s’y trompe pas ! Sous ses dehors de film de studio aux costumes chamarrés, aux décors grandioses et aux personnages hauts en couleur, ce biopic est unique à bien des égards. Le réalisateur géorgien d’origine, conjugue la structure classique en trois actes avec un montage énergique et expressif qui n’est pas sans rappeler les théories d’Eisenstein sur le cinéma social. L’histoire passe sans effort d’un ton à l’autre, se permettant quelques morceaux de pure farce mais sachant être contemplatif dans les moments de solitude, tendre dans les scènes d’amour d’une pudeur très appréciable, et poignant dans ses instants tragiques. Le film appartient également à une liste hélas encore courte de films centrés sur une figure féminine réelle.

Et quelle figure ! Greta Garbo, méritant plus que jamais son titre de « divine », emporte chaque scène et fait de sa reine un personnage attachant, non pas par sa seule beauté ou par l’envolée lyrique de ses sentiments, mais par son humour, la vivacité de son esprit et son inébranlable volonté. Garbo porte des vêtements d’homme, embrasse une femme (une première dans un film hollywoodien) et ne cherche aucunement à se marier, encore moins à être mère. Si sa toilette se féminise suite à son idylle avec Antonio, c’est plus par désir personnel que par soumission à l’étiquette.

 

Avec un tel personnage de femme anti-conventionnelle, il est tentant de voir le film sous l’angle des « gender politics » actuelles. Garbo deviendra d’ailleurs une icône LGBT. Mais si le film est effectivement en avance sur son temps, il l’est peut-être encore plus sur le nôtre. Car ce n’est pas seulement l’histoire d’une femme combattant une institution patriarcale qui nous est contée, c’est surtout la lutte universelle d’un individu contrarié dans ses désirs face au poids des obligations.

Garbo incarne avec justesse un monarque mélancolique, dont les rêves et les espoirs dépassent ceux de la couronne qu’elle porte. Si le prix de l’indépendance sera lourd à payer pour la reine, Christine obtiendra à la fin ce qu’elle désirait. Etre libre d’être qui elle est.

Queen Christina (La Reine Christine)
1933
Rouben Mamoulian
Etats-Unis

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