Dénoncer des abus de langage, une manière de s’engager ? C’est l’avis d’Olga Baranova, benjamine du Conseil municipal de Genève et militante au PS depuis ses 18 ans, qui a récemment dénoncé le caractère inapproprié du nom du festival fribourgeois Le Goulag. Quand le langage ment, appelons à l’engagement !
En hiver dernier, le festival Le Goulag fait face à une remise en question de son identité ; son nom scandalise. A l’origine de l’indignation, qui s’est principalement diffusée à travers les réseaux sociaux, Olga Baranova, élue socialiste genevoise d’origine russe et allemande. Soutenue par une soixantaine d’intellectuell.e.s romand.e.s, tou.t.es signataires d’une lettre ouverte adressée aux organisateur.rice.s, elle a réussi à faire changer le nom du festival, qui désormais s’appellera Le Kopek. Si ce n’est pas la première à avoir critiqué le nom du festival, « débattu chaque année » comme l’avoue Eduardo Mendez, son président, il aura fallu sept éditions pour que la mobilisation se concrétise.
Mais si le fond de la critique était là depuis plusieurs années, son succès est-il donc une simple question de visibilité ?
Olga Baranova, responsable de projets de mobilisation, de formation et de recrutement au PS, répond à nos questions sur l’importance de la communication dans le processus d’engagement.
Olga, en quoi as-tu affaire à l’engagement dans ta pratique professionnelle ?
Je fais partie de l’équipe du PS suisse, on travaille avec les sections et les partis cantonaux pour mobiliser autant les membres que les électeurs. Nous voulons rendre nos sujets politiques visibles, motiver et mobiliser nos membres, candidat.e.s et électrices et électeurs pour les élections et les votations. J’ai la chance de pouvoir construire des projets sur le terrain avec les militant.e.s socialistes dont l’objectif final est le renforcement des structures du parti.
Comment on mobilise les futurs membres ?
Les gens doivent s’identifier avec la structure (ndlr. un parti, une association etc), et avoir un lien personnel avec les membres déjà actifs. Si tu regardes la plupart des parcours de militant.e.s, tout le monde va te dire qu’il s’est engagé parce qu’il a parlé à quelqu’un qui était déjà actif et qui l’a invité à un événement par exemple. Tu peux faire tout ce que tu veux en matière de communication sur les réseaux sociaux, avec des affiches, mais tant qu’il n’y a pas une personne A qui parle à une personne B, le taux de conversion d’un intérêt potentiel en engagement réel va rester extrêmement bas. Donc pour donner envie aux nouveaux membres de s’engager activement, il faut vraiment chercher le contact personnel, et être attentif à leur disponibilité et à leur envie, c’est ça avoir une culture d’accueil.
Prendre part à la politique implique d’abord s’inspirer de personnalités ?
Bien sûr que certains vont admirer tel ou tel politicien ou politicienne, mais la plupart des membres adhèrent parce qu’ils croient profondément en certaines valeurs, surtout quand elles font écho à une expérience personnelle. Il y a des personnes qui veulent d’abord prendre leurs marques, regarder, écouter et d’autres qui veulent d’emblée participer activement et donner leur opinion.
Ressens-tu un fossé entre les gens qui ont une conscience politique et ceux qui sont moins sensibles ?
L’écart qui existe est plutôt entre les bénévoles et les non-bénévoles. Donner de son temps pour une cause traduit une conscience de la communauté déjà existante vu que c’est la réalisation d’un idéal de solidarité et de cohésion : j’appartiens à une communauté et je lui rends quelque chose sans attendre un retour pécuniaire. Là-dedans, y a quelque chose de magique. Le bénévolat est un état d’esprit particulier, parce que dans notre société, on dépend fortement du salariat pour payer nos factures, notre loyer etc. Le bénévolat devient alors une activité «de luxe».
S’engager, c’est aussi dénoncer des abus de langage, comme tu l’as fait pour le nom de festival Le Goulag pas très «politiquement correct». La lutte est présente au quotidien sur le terrain linguistique ?
Pour moi, la notion de «politiquement correct» a été inventé par une certaine tendance politique pour discréditer celles et ceux qui luttent pour moins de discrimination et pour plus d’égalité.
La question des répressions staliniennes ne connaît absolument pas de lobby en Suisse et elle me touche aussi particulièrement, bien sûr. Autour de nous, on entend toujours des propos qui contredisent des valeurs humanistes comme des propos qui stigmatisent un groupe ou un autre, et dans ces cas, il faut toujours réagir. La réaction ne doit pas être disproportionnée, mais si le débat est public, la dénonciation doit l’être aussi.
Mais on doit aussi correspondre à l’exigence qu’on pose aux autres. En tous cas, pour se faire entendre, il faut se rendre visible. Et la visibilité passe par le langage, par sa manière d’inclure ou d’exclure certaines personnes, d’où, entre autres, la question du langage épicène.
Jusqu’où aller pour faire réagir et ne pas simplement choquer ?
Il y a des moments dans l’histoire des mouvements et des idées où il faut choquer, d’une manière radicale et insupportable pour certains, mais il faut le faire pour réveiller l’opinion publique.
S’il y a quelque chose que je ne supporte pas, c’est d’entendre : « les bonnes féministes c’est ça, par contre les Femen c’est des mauvaises féministes ». A partir du moment où on lutte pour la bonne cause avec des moyens qui restent dans le cadre légal, on doit accepter la diversité des formes de combat. Les problèmes sont multiples et les réponses doivent l’être aussi. Les Femen en Ukraine par exemple sont une réaction à une violence sexiste qui se manifeste différemment que ce qu’on connaît nous.
Il faut accepter la pluralité à la fois d’opinions, c’est elle qui fait vivre la communauté, et aussi la pluralité de moyens d’action, et ce sans se tirer dans les pattes. J’ai la chance d’être dans un parti politique qui a une véritable culture du débat et qui y consacre beaucoup de temps. La divergence d’opinion n’est jamais facile à gérer au niveau interpersonnel. Et quand tu as 32 000 membres d’autant moins, surtout quand il y a des objectifs et des échéances très précis. Mais c’est un défi qu’on relève au quotidien, on a 130 ans cette année, on pourra les relever encore pendant je ne sais pas combien de siècles, et c’est ça qui nous fait avancer !
Et toi, comment en es-tu venue à t’engager ?
J’ai toujours trouvé que la politique était quelque chose de passionnant. Ce qui m’a poussé au sein de la Jeunesse socialiste au début, c’est mon expérience de migrante, parce que je suis née dans un pays extra-européen que mes parents ont dû quitter pour des raisons économiques.
Un parcours migratoire a deux effets assez intéressants. D’un côté, il te donne des super pouvoirs parce que comme tu dois tout commencer à zéro, apprendre le fonctionnement du pays, sa langue, sa culture, ses références, tu apprends à te fixer tes objectifs pour être simplement au niveau des autres. Et d’un autre côté, ça te rend assez humble, parce que tout ce qui t’arrive devient une sorte de miracle. Quand tu vis dans un pays que tu as dû apprivoiser par toi-même, ta curiosité fait que tu développes plus de connaissances et donc que tu te forges aussi un esprit critique.
Comment parviens-tu à te faire une idée globale d’un problème avec le flot d’informations qui, souvent, nous submerge ?
Pour bien s’informer, je dirais que deux facteurs sont importants. Il faut bien vérifier ses sources, et faire attention à ne pas se focaliser sur un seul média, pour faire travailler son esprit critique. En se rendant compte par quels types de filtres sont appliqués à l’information, on prend de la distance par rapport à ses sources, on devient plus intelligent dans notre rapport à l’information. Et tu ne peux pas lire un journal si, profondément, ce qui est écrit dedans ne t’intéresse pas. Si on se sent forcé alors ce n’est peut-être pas notre truc…
Cependant, le défi de s’informer sur les enjeux des votations est immense en Suisse, d’où l’importance de la votation sur No Billag. On est tellement dépendant d’une information de qualité , à cause de la démocratie semi-directe, que si on devait manquer de sources objectives, c’est tout le système démocratique suisse qui serait remis en cause. Mais comprendre les enjeux d’une votation en détail reste en pratique très difficile et cela pose un grand problème…
Est-ce-qu’on se dit à un moment: « moi, je vais être utile à ça » ?
Il faut s’engager dans les domaines qui nous touchent le plus, et pour les enjeux auxquels on croit profondément. Le succès d’un engagement se mesure à la persévérance et à la durée de celui-ci. Parfois il vaut mieux se concentrer sur une cause qui nous tient vraiment à cœur, même si intellectuellement, on reconnaît que d’autres sujets sont importants. A partir du moment où l’on a de l’enthousiasme, de la passion pour un sujet, c’est là où notre engagement va être le plus authentique, le plus durable et donc si j’ose le dire, le plus utile.
Crédits photo: ©Valéry Bragar