Les féministes sont-elles des sorcières ?

À l’occasion d’Halloween, Spectrum propose un numéro portant sur les créatures de la nuit, parmi lesquelles se trouve la sorcière: comment est-elle devenue un symbole du féminisme ?

Le terme « sorcière » évoque différentes notions. Dans l’imaginaire collectif, il s’agit d’une vieille femme démoniaque et repoussante, mais la sorcière est aussi associée à la peur des hommes envers les femmes indépendantes, et ce par l’héritage des chasses aux sorcières.

En effet, entre le XVe et le XVIIIe siècle, les chasses aux sorcières représentent un phénomène global en Europe. Il est impossible de connaître le nombre exact de procès, mais les historien·ne·s l’ont estimé à 100’000, avec environ 80’000 exécutions parmi lesquelles 70% des condamné·e·s sont des femmes. Ce mouvement traverse toute l’Europe, sans distinction selon les régimes politiques et les confessions religieuses, et il s’agit d’un phénomène rural qui touche peu les grandes villes. Ces chasses peuvent s’expliquer par l’instabilité d’une période durant laquelle les régimes absolutistes sont bouleversés par la Réforme. La peur s’installe et les autorités, notamment religieuses, cherchent à réaffirmer leur puissance et à maîtriser la population.

De cette tuerie à grande échelle n’est pourtant restée que cette image folklorique de la sorcière sur son balai, avec un chat noir et un chapeau pointu, qui jette des mauvais sorts. Ainsi, selon Mona Chollet, dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes, cet oubli de la violence des procès de sorcellerie est lié au fait que cette période a fondé la misogynie qui traverse encore nos sociétés actuelles.

©Alwiya Hussein

La sorcière, un symbole de la femme indépendante ?

Les femmes qui furent accusées de sorcellerie étaient des guérisseuses qui soignaient et aidaient les femmes à avorter et à accoucher. Ces femmes étaient donc étroitement liées à l’art de la contraception et furent associées à cette idée : selon Armelle Le Bras-Chopard, les sorcières représentent donc des « anti-mères ». Femmes célibataires ou sans enfant, elles provoquent la méfiance des magistrats. En effet, les condamnations étaient uniquement masculines, car la profession de magistrat était réservée aux hommes.

Les chasses coïncident avec un moment où l’espace grandissant occupé par les femmes dans la société commence à déranger : chaque femme qui gagnait en puissance devait être éliminée. Progressivement, la peur a envahi les femmes, qui se sont conformées aux schémas attendus de la bonne épouse et mère discrète et docile.

Dans les sociétés actuelles, les femmes trop puissantes subissent cette même méfiance, produit du patriarcat : ainsi, être trop libérée sexuellement, ne pas vouloir d’enfant, être dans une position de supériorité professionnelle, est parfois encore mal perçu actuellement. Dans les années 60, les mouvements féministes ont alors vu un nouvel aspect dans les sorcières, en soulignant leur indépendance et leur insoumission et ont décidé d’utiliser ce symbolisme dans la lutte contre les inégalités.

Selon Mona Chollet, les chasses aux sorcières ont donc eu des conséquences néfastes sur les femmes, qu’il est aujourd’hui temps de contrebalancer. En effet, les femmes ont été exclues de la médecine, ce qui explique selon elle le fait que les femmes faisant aujourd’hui partie du corps médical sont, pour la plupart, infirmières ou aides-soignantes. Plus encore, les femmes ont été réduites aux rôles d’épouse et de mère et une véritable pression est née de ce phénomène. La vieillesse, attribut de la sorcière, est devenu un signe de laideur pour les femmes, au contraire des hommes qui se « bonifient » avec l’âge.

Finalement, la sorcière est donc devenue le symbole des violences faites aux femmes par le système patriarcal actuel, un nouveau symbole d’indépendance, libre de préjugés, qui crée un « monde où la libre exultation de nos corps et de nos esprits ne serait plus assimilée à un sabbat infernal » (Mona Chollet, Sorcières).