Texte : Manon Becker
Photos : Yves Lassueur

Si la pratique existe depuis la nuit des temps, ce n’est que depuis quelques années qu’elle porte le nom d’urbex. Néologisme né de la contraction des termes anglais « urban » et « exploration », l’urbex est un véritable jeu de piste. « C’est l’exploration de sites qui sont à l’abandon, si possible pittoresques et qui ont une histoire qui se devine ou qui s’imagine quand on y pénètre », nous explique Yves Lassueur. Ancien journaliste, retraité depuis 2011, Yves consacre désormais son temps libre à cette pratique peu conventionnelle. « L’exploration urbaine, c’est tout un monde ! », s’exclame-il.

Chasseurs de fantômes, passionnés d’histoire ou photographes à leurs heures perdues, les urbexeurs font perdurer une mémoire quasi oubliée. La pratique a commencé à prendre de l’ampleur dans les années 1980 et a ensuite été popularisée par le célèbre explorateur urbain « Ninjalicious », qui publie le fanzine « Infiltration: the zine about going places you’re not supposed to go » et le guide de l’urbex « Access all areas: a user’s guide to the art of urban exploration » en 1996. Il y explique les codes et pratiques du monde de l’exploration urbaine tels que : les règles de sécurité, le matériel à emmener ou encore comment échapper aux gardes de sécurité. Dans l’ensemble, ces endroits chargés d’histoire sont privés et fermés au grand public en raison des dangers qu’ils représentent (risque d’effondrement, de chute, découverte de produits toxiques, …). Pourtant, les aventurier.e.s urbain.e.s ne s’en cachent pas, ils aiment braver les interdits.

Ses débuts dans l’urbex, Yves Lassueur les a faits en visitant l’ancien atelier de son père en 2014. « Mon grand-père avait acheté une fabrique du 19e siècle, j’y ai travaillé pendant ma jeunesse. À l’abandon depuis plusieurs années, j’y suis retourné et j’ai eu l’impression d’être chez Zola ! », confie-t-il. Appareil photo à la main lors d’explorations, il essaie de capturer l’instant et de partager l’atmosphère si particulière de ces endroits hors du temps. « Il y a un côté retour au romantisme du 19e siècle avec les anciennes maisons de maitres à l’abandon. Les photos aiguisent notre curiosité et j’aime à penser que les miennes racontent des histoires qu’il appartient à chacun ou chacune de s’imaginer. ».

Trésors cachés au milieu de la jungle

Bien loin des blocs de béton dénués de charme, c’est l’authenticité de ces lieux qui a séduit Yves. « On vit dans une société bien organisée, bien proprette, très policée et de ce fait certains ont cultivé ce goût de l’interdit. », estime l’ancien journaliste. Pour les plus courageux, la nuit ajoute à l’exploration urbaine une atmosphère quasi apocalyptique qui se transforme en une sorte de tourisme alternatif. Au beau milieu de ces bâtisses où la végétation tente patiemment de reprendre ses droits, les urbexeurs confient alors ne plus ressentir le stress du quotidien. « Lors de mon voyage en Italie, j’ai pu admirer des lieux extraordinaires qui sont à l’abandon et complètement figés dans le temps. J’ai visité des maisons de maitres avec des colonnades et des escaliers quasi versaillais, le tout envahi de végétations et sans un tag, c’était une pure merveille ! » nous raconte Yves. Selon lui, l’urbex est un moyen de s’intéresser à l’histoire, aux cultures et coutumes locales. « C’est imaginer ce qu’il y avait avant, comment les gens vivaient et travaillaient. Au fond l’urbex, ça nous montre l’évolution d’une société ! ».

Un passe-temps atypique

A la recherche de ces lieux tenus secret, les urbexeurs se glissent dans la peau d’enquêteurs bien avant de se rendre sur le terrain. En réalité, la recherche du lieu parfait fait tout autant partie du jeu que l’exploration en elle-même. Ces mystérieux endroits, ils les trouvent parfois au hasard d’une promenade, en prospectant Google Street View ou en interrogeant des habitants. Les règles d’or étant de ne rien casser, de laisser les lieux dans l’état où on les a trouvés et de ne pas dévoiler les adresses pour éviter les tags et dégradations de visiteurs peu scrupuleux. « Ça devient très tendance, les réseaux sociaux font beaucoup pour populariser la pratique. Certains le font de façon anonyme car ils n’ont pas envie d’être repéré ou reconnu. On peut le constater sur Youtube qui regorge de vidéos d’urbexeurs masqués. », affirme Yves. En 2019, l’hashtag #urbex regroupait plus de 5.800 000 publications sur Instagram. En suisse, la page Facebook Urbex Suisse romande, mobilise plus de 8000 passionné.e.s. À l’intérieur du groupe, on partage des adresses, on se crée des contacts et on publie ses photos d’explorations réussies. En tendance sur Youtube, les vidéos dédiées à la pratique s’enchainent. Le youtubeur et urbexeur suisse « Le Grand JD », compte plus de 3 millions d’abonnés sur la plateforme.

©Yves Lassueur

Tourisme d’un nouveau genre

Oubliez les parcs nationaux, les grands musés ou autres quartiers historiques, ce qui attire aujourd’hui c’est le « tourisme de ruine ». Au-delà de l’aspect historique, architectural et culturel, l’urbex représente une niche à explorer pour les professionnels du tourisme. Devenu un business depuis peu, certains sites internet d’urbex proposent d’acheter des informations d’emplacement pour une modique somme. En Ukraine, certaines agences sont même spécialisées dans les visites guidées de lieux tels que Tchernobyl. De même à Berlin, où certains guides ont pris en charge la visite de ces lieux désormais laissés à l’abandon.

Comment se lancer dans l’urbex ?

« L’idéal serait de réussir à trouver un bon site qui propose des endroits originaux, c’est un capital de base pour commencer à dealer avec d’autres urbexeurs. Il faut montrer que l’on a de l’intérêt et du respect pour la pratique et ainsi donner confiance à ceux qui peuvent nous aider à entrer dans ce monde particulier. », juge le photographe vaudois. Selon lui, l’Urbex se résume en trois mots : contact, curiosité et respect. Pour être un urbexeur, il faut suivre un véritable code de conduite, visant à préserver les lieux et les protéger au maximum. À la confluence de l’aspect historique, architectural et culturel, la pratique de l’exploration urbaine n’en reste pas moins un passe-temps difficilement praticable.

En pleins préparatifs de sa prochaine expédition italienne, Yves reste à l’affût des bonnes adresses. Alors si vous avez trouvé la perle rare, n’hésitez pas à nous écrire ou à le contacter directement via son site web.

Manon Becker