Dans l’Antiquité, surtout en Orient, il était courant de jeûner chaque mercredi et chaque vendredi pendant toute l’année, exception faite pour le temps pascal. À partir du IIIe s. ap. J.-C. s’est mise progressivement en place la célébration de Pâques, vouée à imiter la situation historique de la Crucifixion de Jésus.  La Pâques devint ainsi une unité liturgique, déterminant le Carême.

Le terme même découle du Latin quadragesima, c’est-à-dire « le temps des quarante jours », ce chiffre se retrouvant à plusieurs reprises dans les Écritures. Entre autre, dans l’Ancien Testament, le Peuple élu, une fois sorti de l’Égypte où il était tenu en esclavage, a voyagé pendant quarante ans avant d’atteindre la Terre promise. En ce qui concerne le Carême, le texte de référence est celui de l’Évangile de Luc (4, 1-13): « Jésus, rempli du Saint Esprit, fut conduit dans le désert, où il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là. »

Dans ce passage se retrouvent tous les ingrédients essentiels du Carême, c’est-à-dire le désert et le jeûne. Le désert, qui contraint à l’abstinence, est métaphore d’une intériorité à la fois naturellement pauvre et riche spirituellement, dans le sens qu’il incite à rechercher une orientation. Le jeûne revêt la même fonction d’approfondissement de la foi et un moyen de la vivre avec une spiritualité accrue.

Le jeûne est, avec la liturgie et les textes choisis, une expression majeure du caractère intense de cette période, construite dans l’optique d’une forme particulière de l’ars moriendi, où la conversion prépare à la Résurrection.

Cette pratique existe dès le IVe s. ap. J.-C. Au début, elle était communautaire, dans le sens que les baptisés pratiquaient le jeune en communion avec les catéchumènes adultes qui allaient recevoir le sacrement du baptême à la veille de Pâques, unique moment de l’année où cela était possible.

Tout au long du Moyen Age, le jeûne s’est diffusé, requérant aussi des innovations techniques. En effet, étant d’abord issu du monde méditerranéen, le remplacement de la viande par le poisson posait des problèmes d’approvisionnement pour des pays plus septentrionaux, comme la France et l’Allemagne. Dans ces endroits, les monastères cisterciens ont construit des lacs artificiels affectés à la pisciculture, afin d’honorer la prescription.

Cependant les interdits ne frappaient pas uniquement la nourriture. Dans le monde orthodoxe, la relation physique du prêtre avec son épouse était aussi exclue durant le Carême. En Occident ce problème ne se posait pas grâce au le célibat des prêtres. Il existait en outre des pratiques extrêmes, à savoir par exemple chez certains moines une prière continuelle sans pouvoir dormir, mais celles-ci ont été exclues par le Concile de Trente. C’est le Concile Vatican II qui a introduit une certaine liberté de choix quant au type d’abstinence à pratiquer, dans le domaine de la nourriture notamment.

Les privations les plus communes étant l’alcool ou le chocolat. Cela dit, depuis une dizaine d’années on peut observer, à un niveau inofficiel, une tendance à revenir à la plus ancienne pratique communautaire: l’abstinence de la viande.

Curiosités mathématiques: à chaque région son calcul

Quarante jours font en somme l’unanimité, mais le calcul du commencement et de la fin du Carême peut être variable. Des diversités régionales ont existé de tous temps. Ainsi, Ambroise, évêque de Milan au IVe s., rappelait que toutes sont valides car elles relèvent de la tradition apostolique.

Par exemple, en Orient, jusqu’au IVe s. ap. J.-C., la Pâques était célébrée le même jour de celle hébraïque, c’est-à-dire le 14 nisan, quelconque jour de la semaine fût-il. Mais, comme souvent, c’est la Suisse qui détient le primat des diversités. Sur son sol se retrouvent en effet trois façons différentes de calculer les quarante jours du Carême. Le rite ambrosien, présent dans les parties tessinoises autrefois appartenant au Diocèse de Milan, calcule 40 jours reculant du jeudi saint et y incluant toutes les dimanches. Le rite romain les exclue, anticipant ainsi le début du Carême au Mercredi des Cendres et le faisant durer jusqu’au samedi saint. Tandis qu’à Bâle, le terme est toujours la veille de Pâques, mais avec les dimanches.

Alessandro Ratti