Les lobbys sont des syndicats, des fondations, des associations ou encore des entreprises. Bien qu’intrinsèquement liée à l’histoire politique, leur influence au Parlement est régulièrement critiquée. Panorama et interview d’Oskar Freysinger.

Une initiative parlementaire, lancée le 25 janvier, projette de restreindre l’accès au Palais fédéral des représentants d’intérêts au nombre d’un par parlementaire. Ces représentants seront, de plus, soumis à la politique de la transparence : le mandat et l’employeur s’inscriront désormais dans un registre consultable par tous. Objectif ? Offrir plus de transparence en matière de Lobbyisme à l’Assemblée fédérale.

Regards croisés de chercheurs et d’un ex-homme politique, Mr. Oskar Freysinger, au sujet de l’importance des lobbys dans le monde politique. En tant qu’ex-parlementaire ayant siégé 12 ans au Conseil National, Mr. Oskar Freysinger revient surtout sur son expérience pour nous dévoiler les rouages d’une machine politique usée par l’activisme des lobbys.

Memento: l’ancrage légal du lobby dans l’activité parlementaire

Avant de plonger dans cette nébuleuse, révisons les bases. Tout parlementaire a l’obligation d’exercer une activité -lucrative ou non- externe à son mandat sous la coupole. Ceci dans le but d’éviter une professionnalisation de la classe politique tout comme son cloisonnement. Dans ce cadre, il lui est entre autres possible d’accéder à des conseils d’administration d’associations, d’entreprises et de fondations. Siéger dans un tel conseil permet au parlementaire de rejoindre un groupement de personnes associées qui ont pour but de promouvoir un intérêt commun qui leur est propre. Ces personnes sont spécialisées dans leur branche et s’informent mutuellement des démarches favorables au but visé. Dans le jargon politique, on dénomme ce type de conseils des Lobbys.

Les parlementaires ont également la possibilité d’offrir le libre accès au Palais fédéral à deux représentants d’intérêts -deux Lobbyistes- chacun. Il s’agira notamment pour ces derniers de prendre publiquement la parole lors de sessions.

Le lobbyisme, un mal nécessaire ?

De manière régulière, les médias éructent à ce sujet : « Il y a trop de parlementaires qui représentent presque uniquement des intérêts économiques spécifiques, au lieu de soutenir des valeurs ou l’intérêt commun » dans swiss.info.ch, il y a 4 ans. « Le parlement doit représenter le peuple, pas les lobbys » dans la Tribune de Genève, il y a 3 ans.

Avant de jauger l’étroitesse des relations lobby-parlementaire à l’aide d’Oskar Freysinger, je me suis d’abord intéressée aux regards d’académiciens portés sur le sujet. Désirant l’un et l’autre ne pas être exposés, ils se rejoindront quant à leur dubitation à propos de l’impact réel des lobbys sur le monde politique : « l’investissement des grandes entreprises dans les activités de lobbying est ridicule en comparaison de leurs bénéfices. Si le lobbying possédait une réelle portée, l’investissement serait de loin plus conséquent » expliquent-ils. Si l’on s’intéresse aux chiffres : 1.7 millions de francs de la part d’UBS dépensé au Parlement de Bruxelles pour 949 millions de bénéfices selon la Tribune de Genève (les chiffres concernant l’Assemblée fédérale ne sont pas connus). La répartition d’une telle somme, cumulée à celle d’autres banques poursuivant des intérêts politiques communs, a-t-elle un impact sur les décisions de votes des députés ? L’un des chercheurs reste particulièrement perplexe. Selon lui « Les lobbys permettent avant tout de fournir une information dont l’obtention serait, sans eux, très onéreuse. Le coût des nombreuses études, par exemple, serait insoutenable par le service public seul. En ce sens les groupes d’intérêts servent le débat ». L’action des lobbys n’auraient donc pas de conséquences sérieuses sur le paysage politique. Si l’on en croît l’expérience de l’ex-politicien, Oskar Freysinger, la réalité est toute autre.


©Monika Flueckiger

De la théorie à la pratique

Oskar Freysinger: —Les lobbys et les liens d’intérêt des parlementaires ne sont pas problématiques tant que la transparence est garantie. Selon l’adage « celui qui paie commande », la réelle faiblesse du système se résume au montant perçu par chaque parlementaire qui accède à l’un de ces conseils. Et bien que les liens d’intérêt officiels soient inscrits dans un registre rendu public (ndlr. Ils sont aussi consultables sur Lobbywatch.ch), la rémunération, véritable nœud du problème, reste cachée. Tous les lobbys ne sont pas puissants, il en existe toutefois un petit nombre avéré. Les groupes de pression enracinés sous la coupole dotés d’une réelle autorité sont sans surprise les banques, les assurances, la pharma et certaines multinationales. Et la paie est en conséquence. Plusieurs centaines de milliers de francs annuels perçus par un parlementaire ai-je pu entendre.

La Suisse, modèle de démocratie, figure parmi les pays où l’influence des lobbys est la moins réglementée

—La fondation Genie Suisse parle de ce système comme d’une légalisation de la corruption. Car, d’un point de vue légal, il n’y a même aucun souci dans le fait de cumuler les conseils d’administration. Certains parlementaires en cumulent jusqu’à 50 ! Mais, en sachant qu’accéder à un conseil d’administration dans un grand lobby, type pharma, signifie pour le parlementaire quelques 150’000 à 300’000 francs de revenu annuel, comment ne pas douter de sa ferveur à défendre l’intérêt commun avant ceux du lobby qui le rémunère ?

La formation des liens d’intérêt est d’origine plurielle.

—Il est clair que certains liens d’intérêt se sont tissés lors de l’activité professionnelle précédant le mandat politique. Je pense aux nombreux paysans désormais parlementaires qui constituent un lobby conséquent sous la Coupole. Dans d’autres cas, des associations réunissant des groupes ou entreprises sont carrément réputées pour être des réceptacles à parlementaires, eux-mêmes ainsi assurés de toucher de jolis montants. Autre procédé connu dans la salle des pas-perdus, les chasseurs de têtes furetant dans les couloirs à la recherche de députés. Leur but est d’engager une discussion d’idées avec l’un deux. Et, selon l’issue de la conversation, leur proposer un poste dans un conseil d’administration, poste bien entendu rémunéré. Ces chasseurs de tête sont sous les auspices de grands groupes industriels suisses et étrangers.

Accéder au Conseil d’Administration. Est-ce consentir aux menottes ?

—Siéger dans des conseils d’administration peut être une activité bénévole, qui dans ce cas ne me semble pas dangereuse. Ce qui m’inquiète, c’est que l’on puisse consentir à des rémunérations de l’ordre de centaines de milliers de francs, sans contrôle ni transparence. C’est donner la pleine liberté à chaque parlementaire de choisir de faire preuve, ou non, de morale et d’honneur. Et disons-le, les tentations de s’asseoir sur ces grands principes, tout humain que nous sommes, ne manquent pas. Il m’est arrivé de discuter avec un parlementaire à propos d’une mention que je déposais à ce moment-là. Celui-ci a fini par admettre qu’il adhérait idéologiquement à ma mention, mais qu’il ne pouvait la signer en me pointant, sur une liste papier, ses différents liens d’intérêts qui l’en « empêchaient ». Autre anecdote, lors de débats concernant l’innovation et la recherche dans le secteur pharmaceutique à la commission de la science, de l’éducation et de la culture dont je faisais partie, j’ai vu un parlementaire intervenir systématiquement sur la base de papiers marqués du logo du groupe pharmaceutique dont il avait intégré le conseil d’administration et qui lui préparait tous ses amendements. Et pire encore, le membre d’un groupe parlementaire s’est déjà fait exclure par les membres de son propre parti pour avoir systématiquement voté contre le lobby représenté. Et je ne doute pas d’une récurrence de la logique. Il paraît évident que les lobbys se désolidarisaient des parlementaires, ayant accédé à un poste rémunéré 300’000 francs par les mêmes, si ceux-ci ne votent pas en faveur de leurs intérêts. Leur vote est verrouillé d’avance, l’intérêt commun passe en second. Le rôle du parlementaire est perverti.

L’effet verrou ou l’atout du Conseil des Etats

—Il suffit aux lobbys d’avoir suffisamment de conseillers aux Etats (ndlr. Ils sont à peu près deux fois moins par commission que les conseillers nationaux) sur leur paylist pour obtenir une minorité de blocage et ainsi scier les projets litigieux à leurs yeux. Je peux donner l’exemple de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique qui équivalait, en réalité, à une réunion du conseil d’administration de Santé Suisse (ndlr. Lobby des assurances). En effet, la majorité des conseillers aux Etats de la Commission siégeant aux conseils d’administration de Santé Suisse barraient systématiquement toute politique en matière de santé qui allait à l’encontre des intérêts du lobby. Une motion que j’ai proposée souhaitait limiter le nombre de représentants d’un même lobby au sein de chacune des commissions, afin d’éviter tout effet de blocage. Evidemment, elle a été rejetée.

Les liens d’intérêts, un tabou entre parlementaires ?

—Si certains liens d’intérêt sont dûment répertoriés, ce n’est pas le cas de nombreux autres. L’inventaire de la majeure partie de ceux-ci est d’ailleurs difficile. La nébuleuse a du diamètre, car des liens, plus indirects et cachés, se tissent et s’établissent. Il peut s’agir de l’influence d’un membre de la famille qui bosse pour un grand groupe ou encore de « l’effet de réseau » particulièrement présent dans les petits cantons, où finalement tout le monde –personnes de poids inclues– se connaît. Nul n’en parle, évidemment. Seule une mise en perspective des votes de certains parlementaires et leurs accointances soulève le doute quant au bien-fondé de leur démarche politique.

Cette initiative, qu’en penser ?

—Une des premières motions que j’ai déposée au Parlement se voulait instaurer une politique de transparence au sujet des rémunérations totales perçues par les parlementaires. Le Conseil National, qui plus est la gauche et à mon étonnement l’UDC, l’avait acceptée. Elle n’est évidemment pas passé auprès Conseil des Etats comme de nombreuses autres. L’initiative lancée par Didier Berberat est louable mais je ne parierais par sur sa réussite. Je pense que le blocus des lobbys imposera à nouveau son autorité.

Crédits photo: parlament.ch